Troisième rendez-vous de l’intelligence artificielle (IA) avec notre invité, Simon Duguay
Le Centre franco vous propose un troisième rendez-vous de l’IA en éducation avec Simon Duguay, un pédagogue passionné de technologie.
M. Duguay est enseignant en éducation aux médias à l’École secondaire De Rochebelle, à Québec, et chargé de cours en didactique des sciences à l’Université Laval. Il anime une veille technologique exhaustive sur l’IA et lit tout ce qui s’y rapporte. Notre invité fait part au quotidien de ses préoccupations, de ses stratégies pédagogiques et de ses ressources à ses élèves ou à ses étudiantes et à ses étudiants. Au cours de ce rendez-vous, c’est avec plaisir qu’il vous en fera part également.
Pour obtenir des ressources et des suggestions de lectures pertinentes quant à l’utilisation de l’IA et aux façons de faciliter votre quotidien en tant que personnel enseignant, nous vous proposons d’écouter aussi l’enregistrement de la conférence de M. Duguay qui a eu lieu lors du Colloque Tac2023, dans la série de conférences pédagogiques Impact2. Voici le lien pour y accéder : youtube.com/watch?v=tofWcd2ukc0.
Conversation avec Simon Duguay
[musique]
Jules Ducharme : Bonjour, tout le monde, et bienvenue au rendez-vous avec l’intelligence artificielle en éducation. Moi, c’est Jules Ducharme, consultant pédagogique, et j’ai avec moi mon collègue, que je salue, Louis Houle. Bonjour, Louis!
Louis Houle : Bonjour, Jules! Moi aussi, je suis super content d’être avec toi aujourd’hui pour– Je pense que c’est la troisième édition, je pense, du rendez-vous?
Jules : Troisième édition déjà, imagine-toi, ça avance vite. On a aussi notre invité de l’heure si on veut, notre très cher Simon Duguay. Bonjour, Simon! Ça va bien?
Simon Duguay : Bonjour! Ça va très bien vous-même?
Jules : Oui, ça va très bien. Merci de nous avoir donné une belle présentation d’une heure sur laquelle les gens ont sûrement apprécié énormément. Là, on se veut un peu plus décentralisé, un peu plus informel, une discussion sur l’IA, on va s’amuser avec tout ça. D’abord, on va expliquer tu es qui parce que, d’ailleurs, ce n’est pas tout le monde qui sait c’est qui ce Simon Duguay. On l’a entendu aux nouvelles en passant, il est passé à la radio, à Sudbury, même peut-être partout.
Simon : Je suis passé, oui.
Jules : Simon Duguay, tu me dis si tu as d’autres choses à rajouter, mais Simon, c’est un enseignant d’éducation des médias à l’école secondaire de Rocheville, à Québec, chargé de cours aussi, des cours en didactique des sciences à l’université Laval, puis un passionné des technologies, mais ça, là, depuis plusieurs années même, il aborde avec ses élèves la pratique différente de notions dans le numérique, la robotique, la programmation, la 3D, la citoyenneté, puis, surtout, l’intelligence artificielle. Soyez bienvenue, Simon, au rendez-vous avec l’IA en éducation.
Simon : Je suis content d’être avec vous.
Jules : Je suis curieux un peu parce qu’on t’a entendu tripper, donc c’était évident, c’est quelque chose qui t’anime autant que moi et Louis aussi. C’est pour ça que le rendez-vous de l’IA existe. Ma première question pour toi, Simon, c’est très peu de technologie, de pédagogie, ça vient d’où cette passion? Qui est Simon et pourquoi il est passionné comme ça?
Simon : C’est une bonne question. J’ai probablement comme pédagogue le coté éducation. J’ai été super inspiré, j’ai eu beaucoup d’enseignants vraiment trippants quand j’étais moi-même au secondaire. Quand j’ai été à l’université, tout ce qui est essayer des nouvelles choses en pédagogie, j’ai eu des professeurs vraiment inspirants, j’ai fait plein de stages dans des écoles, avec des programmes qui voulaient essayer de nouvelles choses, autant en pédagogie qu’en technopédagogie.
On dirait qu’autant moi, comme élève, j’ai vu des personnes avoir du plaisir, avoir du temps à enseigner. Mes premières expériences professionnelles en stage, j’étais dans des milieux qui étaient tellement stimulants que je voulais continuer à triper comme ça avec les technologies, si on peut dire. J’ai eu la chance, quand j’ai commencé à travailler à mon centre de service scolaire, de tomber sur une tâche en éducation aux médias, à l’informatique, au numérique, qui n’est pas un cours officiel au Québec. C’est un cours maison. C’est le comité de parents qui a décidé d’ajouter ça à la grille horaire.
Je peux faire un peu ce que je veux, j’ai de grandes orientations, bien évidemment, il y a des choses qu’il faut que je vois dans mon année, mais je n’ai pas d’examen du Ministère à la fin de l’année. J’ai de bonnes choses, tu peux vraiment explorer plein de choses. Ça m’a permis un peu de m’entretenir justement cette espèce de passion des technologies en éducation.
Jules : C’est très cool parce qu’on a quand même Louis et nous, en Ontario, ça fait partie de nos programmes-cadres maintenant, nos curriculums, donc même de la première année à la neuvième année, on a des cours de programmation en mathématiques, sciences.
Simon : Comme parenthèse, j’explorais vos programmes pendant que je montais ma formation et j’étais particulièrement jaloux de vos programmes.
[rires]
Commence en première année–
Jules : On aime ça.
Simon : –qu’il y a du numérique d’intégrer dedans, que je–
Jules : C’est facile si tu viens enseigner en Ontario, on va t’accueillir.
[rires]
Sans problème, on va t’accueillir.
Louis : Jules, J’avais une question parce que, là, ma question pour toi, Simon, c’est comment tu la nourris justement cette passion? Parce que c’est bien beau d’être passionné, mais comment tu fais pour toujours avoir la flamme, là, mettons?
Simon : Mettons qu’on parle préChatGPT parce que la dernière année en fut une très particulière. Avant, je vous dirais en faisant des projets avec des élèves, c’est dire on va faire une introduction à la programmation avec des élèves qui n’en ont jamais fait, je leur présente ça une semaine. J’arrive la semaine d’après il y a une élève qui me dit : « Bonjour, monsieur, j’ai passé ma fin de semaine sur Scratch. Voici mon projet terminé, c’est super beau. J’ai essayé de partager un tutoriel sur YouTube, j’ai essayé de le faire, mon amie dessine, elle a pris la tablette de ses parents, puis elle a fait les personnages. »
Je vois des élèves qui ont passé, je veux dire comme prof, je veux dire quand j’enseignais les sciences, les maths. Oui, il y a des élèves qui trippent, mais c’est rare. Un élève qui va dire : « J’ai volontairement pris toute ma fin de semaine pour travailler sur ta discipline. » J’ai trouvé et je trouve toujours ça fantastique. On fait de la robotique, les élèves essayent de nouvelles choses. On dirait qu’on arrive dans le numérique créatif qui vient chercher dans la créativité, la résolution de problèmes, des choses comme ça, de voir les élèves se dépasser, pas juste sur les notions, les savoirs mais vraiment juste : « Ok, comment je m’attaque à ce problème-là? Je vais essayer telle chose. Je vais aller voir des ressources, essayer d’être créatif pour faire tout ça. » Je trouve ça fantastique.
Ça me nourrit vraiment beaucoup avec mes élèves en classe, qui avec depuis la sortie du ChatGPT, on dirait que tout a tellement explosé, qu’en faisant des collaborations avec le Centre franco, avec d’autres pédagogues un peu partout, avec des chercheurs, avec des conseillers pédagogiques pour essayer de créer des choses. Je peux dire, au début, je vais être honnête, c’était pour régler le problème de ChatGPT parce que c’était en éducation, on se posait des questions, de grosses questions, puis éventuellement, c’est devenu plus large.
Comment est-ce qu’on peut s’en servir pour faire du positif? Comment, en classe, ça peut être– Comment est-ce qu’on peut s’en servir avec des élèves? Comment on peut éduquer? En travaillant avec plein de personnes qui trippent vraiment, là, c’est sûr que ça l’encourage à faire de belles choses aussi.
Louis : Très cool. C’est vrai que ça passionne plusieurs personnes. Mon père a suivi ton atelier tantôt. [rires] Le commentaire qu’il m’a écrit dans le texto tout de suite, il dit : « Regarde, ça me donne le goût de retourner en salle de classe. » Imagine, bravo pour ça.
Je suis un peu curieux aussi parce que tu dois apporter beaucoup d’infographies, des informations. Je me suis dit peut-être qu’on peut aller creuser un peu plus loin dans ce rang parce que ça a été quand même rapide. Je me pose la question de façon informelle. Je me disais peut-être celui du consommateur au créateur, cette progression-là, pourquoi une progression? Pourquoi tu as pris celui de Romero qui était basé sur la technologie, tu l’as adapté à l’IA? Est-ce que c’est équivalent?
Est-ce que ça aurait peut-être dû être une autre progression? Comment est ton processus quand tu as vu ça? Tu as fait : « Ça, c’est bon, je veux que ça soit comme– » Parle-moi un peu de ça.
Simon : Je connaissais ce continuum-là appliqué aux technologies de manière générale. J’ai déjà travaillé avec ce chercheur-là, c’est pour ça que je le connaissais bien. Je pense que le samedi matin, je me suis réveillé en me disant ça s’applique bien trop. Je vais essayer de voir qu’est-ce qui se passe, puis je trouvais que ça marchait. C’est un peu ça qui s’est passé.
Je pense que, comme n’importe quelle technologie, l’intelligence artificielle, puis même avant la sortie de ChatGPT, on en utilisait des fois sans même le savoir. Je veux dire, il y a certains magasins qui sont équipés de caméras qui captent nos visages pour analyser nos expressions, pour voir si on a l’air heureux à magasiner dans le magasin. C’est une utilisation de l’intelligence artificielle qui est faite, pas par nous, on est un peu comme le produit si on peut dire, mais ça existe.
C’est quelque chose qui existe, qu’on utilise. Souvent, ces technologies-là, la programmation, on utilise tous des appareils, comme un téléphone, comme un ordinateur, sans forcément savoir comment programmer, mais à partir du moment qu’on s’intéresse un peu à la programmation, là, on est capable de faire nos petits codes personnels,
On est capable de jouer un peu plus à Excel pour faire des choses. On est capable d’avoir un outil et de s’en servir de manière beaucoup plus large et d’être beaucoup plus libre.
Quand on devient des créateurs avec le numérique, on n’est plus obligé de juste prendre la solution qui nous est vendue telle quelle par une compagnie. On peut essayer de faire nos propres choses, on peut essayer d’adapter les outils qu’on a déjà. Ça nous donne un certain pouvoir. Je pense qu’avec l’intelligence artificielle, de passer de on utilise tout un peu de l’IA sans forcément savoir à comprendre comment l’outil fonctionne, être capable de l’adapter, là, je parle des élèves au secondaire, mais dans les entreprises aussi, les adultes, il y a de plus en plus de personnes qui se disent : « Est-ce qu’il y a des tâches que je peux automatiser pour me concentrer sur des choses un peu plus créatives? » Là, ça peut être intéressant aussi.
C’est présenté comme un continuum, mais il ne faut pas forcément voir comme étant du moins bon au meilleur, aussi pour certaines technologies, dans certaines applications, ça n’a pas sa place, c’est normal aussi. Je pense que la plus grosse erreur que peut commettre, par exemple, une entreprise présentement, c’est essayer de mettre de l’intelligence artificielle mur à mur en pensant que ça [diaphonie], c’est de juste te lancer là-dedans.
Tandis que quelqu’un qui est réflexif, qui voit dans quel contexte ça peut être utile, dans quel contexte ça ne l’est pas, comment est-ce qu’on s’adapte? Là, on va aller plus loin. C’est important ce continuum-là, justement de le voir comme d’un point A à un point B, mais on n’est pas obligé de se rendre au point B non plus. Ça dépend de nos intentions.
Louis : Ce que je comprends, donc c’est comme plus on sera vers la droite, sur le continuum, plus on devient un penseur critique aussi parce que, si on cocrée, ça veut dire quelque part, on comprend, puis on analyse, puis on—Mais, si on est juste dans la consommation passive, on ne pose pas de questions. Plus on devient intégré, donc c’est peut-être un message pour les enseignants aussi, ou en éducation. C’est essayez-le pour qu’on puisse devenir de meilleurs penseurs critiques.
Jules : En même temps, il faut le dire, c’est la mode. Actuellement, quand on parle d’intelligence artificielle, puis là, on en entend parler partout, et cetera. Je dis toujours, c’est quoi l’intention en arrière? C’est l’intention pédagogique quand on va parler de notre classe et puis, moi, je voudrais t’entendre là-dessus, Simon, parce que je trouve que, si on regarde l’intelligence artificielle comme un outil, c’est quoi, tu penses que les compétences qu’on devrait développer en priorité chez nos élèves pour que cet outil justement soit le plus efficace?
Simon : L’intelligence artificielle n’est pas capable de faire ce que l’humain fait, la créativité, la résolution de problèmes, les compétences interpersonnelles, la pensée critique; tout ce qui fait de l’humain un humain, l’IA ne peut pas le faire. C’est sûr que, si l’intelligence artificielle fait au final qu’on est capable de se reconcentrer sur l’humain, je pense que ce sera un bénéfice qui va être positif. Parce que je pense que de faire des apprenants qui sont créatifs, de faire des apprenants qui veulent innover, tout ça, je trouve ça intéressant. Là, c’est sûr qu’on peut se poser la question, est-ce qu’on veut enseigner l’intelligence artificielle?
J’en parlais un peu dans ma présentation plus tôt, j’ai l’air de l’enseignant qui trippe full, puis qui en fait plein, puis qui fait des choses, mais ce n’est pas moi qui ai dit– J’ai jamais amené aucun de mes élèves sur ChatGPT parce que– Il y en a qui le font, puis si un élève veut le faire, je vais l’accompagner, ça ne me dérange pas, mais je n’ai jamais dit avec aucun de mes groupements pour des raisons légales qu’on ne peut pas parce qu’ils sont mineurs, mais même si on pouvait, on va essayer des IA qui–
J’ai essayé avec des élèves des IA qui créent des images, puis là, on a travaillé. Comment tu peux lui faire créer une image en fonction de tes besoins, de ce que tu veux, ça n’a pas les mêmes répercussions. En faisant ça, on est quand même capable de comprendre comment l’IA fonctionne, puis de discuter des enjeux que l’IA peut avoir.
Moi, cet automne-là, j’ai fait une séquence, celle que j’ai présentée plus tôt, qui durent quatre cours, dans lequel on amenait les élèves à comprendre l’IA, à l’essayer, comme je le disais, avec des IA qui génèrent des images et par la suite à réfléchir sur plein de situations de la vie courante qui existent, sur lesquelles on peut se questionner.
Exemple, les Jeux olympiques en France qui s’en viennent vont être équipés d’un système de surveillance boosté à l’intelligence artificielle qui va analyser des scènes pour essayer de trouver des crimes qui vont s’en venir ou des choses comme ça. C’est très Big Brother, puis il y a du positif, il y a du négatif. Il y a un avantage que peut-être qu’un attentat terroriste va être évité. Peut-être qu’il y a des crimes qui vont être évités. De l’autre côté, on peut se questionner sur la vie privée parce que, là, c’est des caméras qui surveillent tout. Ils vont même avoir des drones qui vont circuler au-dessus des foules pour analyser la foule en question.
On peut se questionner sur la vie privée. Puis, j’ai amené mes élèves. Là, dans ce cas-ci, l’intelligence artificielle, voici le type. Là, les élèves devaient me trouver. C’est quoi les avantages? C’est quoi les inconvénients? Ensuite, comment est-ce que chacun des groupes d’acteurs pourrait se positionner?
Probablement que le gouvernement, sa position, c’est ça, parce que probablement que les citoyens pourraient avoir telle position.
Si tu es citoyen, puis tu es pour, qu’est-ce que tu peux faire pour ça? Qu’est-ce que tu peux faire contre ça? Est-ce que tu peux en parler à d’autres? Est-ce que ce sont tous les politiciens qui sont pour n’ont pas forcément, il y en a discuter? Si on vient à l’intelligence artificielle générative, si on parle de l’automatisation des emplois, ce genre de chose, il y avait une des mises en situation, un élève qui utilise ChatGPT pour entrer dans un programme contingenté, c’est quoi le point de vue de cet élève-là? C’est quoi le point de vue de l’élève qui est à côté, qui se force pour faire son travail, pour rentrer de manière légitime dans le programme? Ça pourrait être quoi le point de vue des–
Dans notre exemple, c’était la police. Si le public apprenait, disons qu’il y a des policiers qui rentraient parce qu’ils prenaient le ChatGPT. Est-ce que ça pourrait faire baisser la crédibilité de la police? C’est un exemple qui est fictif, mais qui pourrait être possible, donc juste à amener les élèves à réfléchir là-dessus sans utiliser ChatGPT, mais juste réfléchir sur l’impact de l’IA. J’ai trouvé ça intéressant, puis les élèves ont trouvé ça super intéressant aussi.
Louis : En même temps, tu développais l’esprit critique sur tes élèves, là, c’est ça que tu faisais finalement. Ça, c’est une compétence super importante qu’on en parle beaucoup avec l’intelligence artificielle. Tu en as parlé aussi dans ta conférence quand tu as dit : « Il faut regarder ce que l’intelligence artificielle nous a généré, puis après ça, avoir un jugement critique dessus, puis là, tu donnais l’exemple en disant : « Là, peut-être qu’il faut que tu fasses d’autres recherches, mon cher élève, là, pour vérifier les faits, les données, et cetera, qui nous ont donné le fait que–
Merci pour cette réponse, puis il y a– Jules, je sens que tu veux dire quelque chose.
Jules : Tu touches un point qui m’anime énormément parce que ça veut dire aussi, puis moi, plus je joue avec l’IA, plus j’apprends aussi. J’ai une conversation avec mon IA, plutôt que de juste créer quelque chose pour moi. Ce que j’ai remarqué, c’est que tu dois savoir de quoi tu parles, tu dois avoir une connaissance, le fait que tes connaissances, tes petits contenus d’apprentissage, tout ça que tu as besoin de savoir et qui sont très importantes quand tu fais faire écrire quelque chose ou tu fais une recherche ou de [inintelligible 00:15:42].
L’analyse critique veut dire que tu as tellement de knowledges à amener, là. Ce qui veut dire qu’on a de la job, on a beaucoup de– Pour moi, l’enseignant, la fonction, c’est démystifier ce que ChatGPT nous donne pour avoir un sens. Par exemple, les codeurs ont par leur job tout ça, mais je l’ai essayé, je suis un codeur aussi.
Écoute, il faut vraiment que je connaisse le code pour voir. Attends une seconde, c’est subtil ici, mais peux-tu me changer ça, puis là, en conversant avec lui, c’est parce que moi, je sais, c’est quoi le codage. Quelqu’un qui n’aurait aucune idée, ça glisserait, il y aurait des erreurs, et cetera. C’est plus que juste se servir, c’est vraiment d’analyser tout ça.
Simon : Oui, j’ai déjà vu une citation pour justement les personnes qui ont peur de perdre leur emploi, puis ça disait, ce n’est pas l’intelligence artificielle qui va prendre ton emploi, c’est quelqu’un qui sait se servir de l’intelligence artificielle qui va prendre ton emploi. Pourquoi? Parce qu’on ne va pas prendre un emploi. Je vais dire et maintenant, c’est l’intelligence artificielle qui le fait, c’est qu’on va avoir un humain assisté par intelligence artificielle qui fait des choses plus rapidement, mais cet humain-là doit être compétent, puis c’est lui qui va s’assurer que l’IA fonctionne d’une bonne manière ou non.
Le meilleur moyen d’utiliser de la mauvaise manière l’IA, c’est de le laisser sans surveillance. C’est comme un enfant un peu, là, il faut tout le temps s’assurer, qu’est-ce qu’il fait. Comment il le fait? Est-ce correct? C’est constant, là.
Louis : Oui, ça m’amène à une première prochaine. Je pense que l’idée que tu avais sur la triche, le plagiat, tout ça parce que c’est à peu près la même conversation, je pense. Tu nous avais donné une progression un peu de l’élève qui écrit l’entièreté du texte sans IA et sans consulter jusqu’à l’élève qui fait une requête avec l’IA qui copie la réponse, la donne directement à l’enseignant. Il y a plein de– Je me suis posé– Simon, lui, comme enseignant, là– Parce que l’une des questions que tu poses, où vous situez-vous dans votre pratique professionnelle? Simon, où tu te situes, toi, comme enseignant dans ta propre infographie?
Simon : C’est sûr que moi, un élève qui copie-colle du ChatGPT, ça n’a pas de valeur pour moi parce que je veux dire, il n’a clairement rien appris. Un élève qui est capable d’aller s’inspirer, puis qui va retravailler l’idée, qui va travailler avec l’intelligence artificielle, qui est capable de critiquer ce qui a été fait, puis bien évidemment que je suis capable de voir le processus. Ça, c’est important. Moi, c’est le processus que je veux voir, ce n’est pas forcément le résultat final.
Un élève qui peut s’en servir pour aller chercher des idées, puis même moi, mettons, je programme quelque chose, je ne sais pas trop comment faire telle chose. Je pose une question, il me balance des pistes, je reprends ça, puis je le retravaille. Ça, je pense que c’est un usage qui est valide quand c’est mentionné, bien évidemment, pas quand c’est fait en catimini. Je pense qu’un élève qui est capable de s’en servir comme un outil pour l’aider, pour l’accompagner, moi, ça me va.
Un élève qui prend tel quel ou qui fait juste changer deux-trois mots un peu moins fait que, quand c’est une source d’inspiration, quand on a justement le syndrome de la page blanche, je ne sais pas trop comment me lancer, ça me donne des idées, mais qu’après ça, c’est l’élève qui fait le travail, ça, je n’ai pas de problème.
Un élève sinon– c’est là que je me situe, je crois.
Louis : Très intéressant. J’ai fait le test, moi aussi, avec ChatGPT, j’ai donné un texte, il y avait des erreurs, j’ai dit regarde, j’ai utilisé un élève, je veux que tu lises le texte, mais je ne veux pas que tu corriges mes erreurs, je veux juste que tu les surlignes. Là, j’étais comme wow. Là, tout d’un coup, tu pourrais imprimer ça avec les mots qui sont en surbrillance, puis là, les analyser en classe le lendemain.
Tu sais, c’est peut-être des usages comme ça, plutôt que juste dire : « Corrige mes erreurs– non, highlight les erreurs pour que je puisse apprendre. » On peut avoir cette conversation avec l’IA qui va t’aider, même chose en mathématiques. Maintenant, on peut prendre une image. Par exemple, j’ai pris une image d’un travail qui avait été fait à une résolution de problèmes, l’équation qu’un élève a fait, je lui avais dit qu’il y avait des troubles organisationnels aussi des données, mais sans des données personnelles, juste des données larges.
J’ai dit : « Comment tu m’aiderais à aider cet élève-là à mieux répondre? » Il m’a donné cinq scénarios différents, avec du storytelling, avec des boîtes qui étaient deux boîtes, donc c’est possible d’aller chercher ce genre d’aide-là. Il faut vraiment savoir, par exemple, ce qu’on lui demande. Ça amène une phrase que tu as dit, qui m’a beaucoup interpellé tantôt, tu en as reparlé un peu tantôt, c’est éduquer versus enseigner l’IA.
Moi, j’aimerais ça que tu ailles un peu plus loin parce que je trouve que– Jules vient de donner des exemples. Tu ne peux pas rester devant, puis dire : « Bravo, IA. » et « Je te vénère. Je t’accepte comme tu es. » Puis, je ne fais rien, je n’ai pas besoin de réfléchir. J’aimerais ça que tu commentes un peu plus éduquer versus enseigner l’IA parce qu’en même temps le temps avance, je regarde, puis je me dis : « Il faut se dépêcher. »
[rires]
Simon : Éduquer versus enseigner, quand on en parle, ce n’est pas juste à l’IA, mettons les changements climatiques. L’élève peut– C’est le fait d’enseigner c’est quoi les changements climatiques, comprendre les changements climatiques, absolument ne rien faire dans sa pratique pour régler les changements climatiques. Un élève peut être éduqué aux changements climatiques, dans le sens où il va poser des actions, faire du compost, essayer les transports actifs au lieu de prendre l’auto, des choses comme ça.
Moi, c’est sûr que pour l’intelligence artificielle, je suis plus dans une position où je veux que l’élève soit réfléchi, soit capable de réfléchir. Je ne veux pas que mes élèves soient des pros de l’intelligence artificielle, puis qu’ils soient tellement efficaces pour faire des requêtes et avoir les meilleurs résultats. Je veux qu’ils soient capables de se questionner parce que, même si, plus tard, ils ne sauront pas comment– Même si, plus tard, disons, ils vont s’en servir dans leur emploi de l’intelligence artificielle, ils vont être formés dans leur emploi, mais la réflexion critique, au moins, ils vont l’avoir eu de moi.
Même chose, par exemple, avec la programmation. J’enseigne la programmation à mes élèves, pas parce que je veux former des programmeurs, parce que je veux former des élèves qui sont capables de faire de la résolution de problèmes, qui sont capables d’être créatifs, qui sont capables de mobiliser ces compétences un peu transversales-là, si on peut dire, même si, plus tard, ils ne vont pas avoir à être programmeurs. Tu as une table, tu brises une pièce de ta table ou n’importe quoi, tu vas chercher une vidéo en ligne qui te montre comment la réparer.
Ce processus-là de : « J’ai un problème, j’identifie le problème, je trouve une ressource, j’applique la ressource, je vérifie si ma solution est satisfaisante. », tu peux le faire en programmation, tu peux le faire en ébénisterie, tu peux le faire dans n’importe quoi. Moi, c’est la programmation qui me permet de voir ça avec les élèves. Comme je l’ai dit, ce n’est pas parce que je veux faire des programmeurs, je veux faire des personnes qui résoudent des problèmes.
Louis : Moi, en mathématiques, c’est la modélisation qui fait partie maintenant de notre curriculum. En plus, la modélisation avec un grand M, même genre de choses, le même cycle. Pour moi, c’est de résoudre un problème plus grand que juste une liste. Ça m’apporte un peu à des bémols sur quelque chose que tu as présenté comme Eduaide, MagicSchool, tout ça. J’ai peur que ça, ça donne de mauvaises impressions de c’est quoi un enseignant parce que ce que ça fait, ça donne des questions choix multiple, ça donne des équations, surtout des questions fermées, pas des questions ouvertes avec des pensées critiques. Est-ce que c’est ce que les gens pensent que c’est de l’enseignement ? Si oui, c’est là où est-ce qu’on s’en va dans nos outils de l’IA, ça me fait peur un peu.
Simon : Je suis très d’accord avec toi parce que comme enseignant, du moins comme enseignant disciplinaire à l’école, au middle school ou à l’école secondaire, on a une formation disciplinaire, puis on a une formation en pédagogie, dans le sens où, un, il faut être capable de vérifier si les faits qui sont là sont vrais parce qu’on a une formation disciplinaire.
Admettons qu’on a un enseignant de sciences qui n’a aucune qualification en sciences. Il a beau faire des questions à choix multiple, s’il ne sait pas. Ensuite, ça prend une formation en pédagogie. Je suis entièrement d’accord que des questions à choix multiple, ce n’est pas forcément vers ça qu’on veut s’en aller comme système éducatif. Parfois, ça peut être utile, ça peut être un outil parmi une multitude d’outils.
Jules : Oui, un déclencheur.
Simon : C’est ça, mais si on s’inscrit dans une formation par compétence dans laquelle on a des situations d’enseignement et d’apprentissage qui sont ouvertes, qui sont larges, qui nécessitent que les élèves mobilisent des compétences, des choses comme ça, là, les choix multiples peuvent nous aider à un point donné quand on veut faire un petit retour pour être sûr que les élèves ont bien compris une chose en particulier. L’ensemble de notre activité, ce n’est pas ça, bien évidemment, il ne faut pas que ça le soit.
C’est pour ça que la formation en pédagogie est vraiment intéressante et c’est une question très légitime que vous posez. Il ne faudrait pas que le monde pense que c’est ça l’enseignement, puis que quelqu’un se dise : « Je peux être un prof, j’ai un outil qui écrit des questions d’IA pour moi. » Premièrement, c’est sûr que cet enseignant-là va arriver en classe et il va faire le choc de la réalité parce que l’intelligence artificielle ne peut pas vraiment nous aider en gestion de classe. C’est ça.
Jules : Merci. Louis, as-tu une autre question avant qu’on termine la partie– ?
Louis : Oui. Essentiellement, moi, c’est peut-être juste toute la question, puis on en a parlé. Tu as encore renchéri le fait– Je pense que je l’ai écrit. Quand tu as dit : « J’ai demandé quelque chose à ChatGPT. » Moi, je l’ai traduit en disant : « Statistiquement, j’ai eu la réponse suivante. » Ça fait qu’il ne réfléchit pas, il regarde dans ses données, puis là, il fait une statistique, puis il nous donne une réponse.
Moi, je pense que, quand on a ça dans la tête, ça relativise un peu les choses. Juste le nom intelligence artificielle, tu as l’impression qu’elle est intelligente, cette machine, et ta référence comme intelligence, c’est l’intelligence humaine. Ça fait que là, c’est facile de dire tout d’un coup : « Ah ! Elle doit être comme nous autres. »
Justement, elle n’est pas comme nous autres. Il manque plein de volets. On en a parlé. Statistiquement, j’ai eu la réponse suivante de ChatGPT, là, c’est comme « Oh!– » C’est là que, tu en as parlé, développement des compétences, puis d’être capable de regarder ça avec un esprit critique, d’aller vérifier les sources. Finalement, chers élèves, c’est de faire ta job. Cher prof, c’est de faire ta job aussi si tu utilises un outil.
Simon : Oui. C’est pour ça que c’est de l’intelligence artificielle générative et non de l’intelligence artificielle créative. Elle génère une réponse. Même les IA qui créaient, qui génèrent de l’art, c’est toutes inspirées de choses qui ont déjà été faites. Ça pose des gros enjeux de droits d’auteur, des choses comme ça, mais il n’y a rien que l’IA va faire qui n’a pas sensiblement déjà été fait. C’est une recombinaison de plusieurs choses, mais ça génère, ça ne crée pas. Ce n’est pas créatif.
Jules : Oui, tout à fait. En fait, ça [inintelligible 00:26:56], comme tu as déjà dit. Moi, j’ai fait une recherche historique de concepts mathématiques, par exemple, où presque tout était eurocentrique. J’ai dit : « Ok, mais qu’est-ce qui arrive avec les Aztèques, ou en Chine ou au Japon? et cetera. » J’ai poussé la limite. Là, il est allé chercher, mais ses premières réponses sont très biaisées.
Louis : Peut-être juste un dernier commentaire, Simon. On a un commentaire dans la boîte de clavardage avec René qui nous dit que nous parlons de l’utilisation de l’IA et de ChatGPT pour appuyer le prof, mais sachons que les parents ont accès gratuitement aux mêmes outils et qu’eux aussi s’en servent pour leurs communications et leurs interactions avec le personnel scolaire.
Simon : Ça se pourrait. C’est drôle parce que je n’avais pas vraiment réfléchi à cet aspect-là en premier. Là, ça me fait poser la question. J’ai déjà eu un courriel d’un parent qui semblait être fait par intelligence artificielle.
[rires]
Non, mais c’est vrai.
Louis : Des courriels pour convaincre, oui.
Jules : Moi, j’avoue, des fois, il y a des courriels. Je vais l’avouer comme ça. Des fois, j’ai des courriels qui sont choqués. Tu ne veux pas répondre choqué, mais tu le sens pareil, tu écris, tac, tac, tac. Je prends, tu le poses, je prends celui-là, je dis : « Peux-tu me rendre ça un peu plus poli? Mais garder le ton de comme qui je suis, Jules. » Souvent, ça calme un peu, puis les courriels sont un peu plus–
Louis : Ça, c’est super. J’ai déjà eu quelqu’un qui avait fait la démonstration. C’était une démonstration. Il y avait un faux courriel envoyé par un directeur qui était comme : « Je veux te parler. Peux-tu rester deux minutes à la fin de la journée? Il faut que je te parle. » De vive voix, selon comment c’est dit, ça peut paraître correct, mais sinon, c’est super anxiogène comme message. La personne avait demandé à l’IA : « Peux-tu rendre ça plus doux et moins anxiogène? » Effectivement, c’était reformulé d’une manière qui nous mettait en confiance, qui ne nous disait pas : « Oh, je suis dans le trouble. »
Louis : Moi, je ne demanderai pas à l’intelligence artificielle, mais je vais demander à Simon. Écoute, ça fait une heure et demie qu’on discute avec toi et tu nous as présenté ta conférence. Là, on a une super discussion. J’ai le goût de te donner la chance de conclure ce bout-là. Si tu avais à conclure, qu’est-ce que tu dirais par rapport à ce qu’on vient de vivre ensemble ? Si tu avais un message à cibler, ce serait quoi ?
Simon : Un message. C’est méchant comme question. Il faut que j’en choisisse un? J’espère.
Louis : Écoute, c’est toi qui a la parole, tu peux le tourner comme tu veux.
Simon : Oui, exactement. Il faut laisser faire à l’humain ce qui est humain, dans le sens où il ne faut pas qu’on essaye de mettre de l’intelligence artificielle où ça n’a pas sa place d’être. Il ne faut pas oublier notre place comme humain dans les relations, dans la créativité. Il ne faut pas laisser l’intelligence artificielle s’enfler la tête. Je vais y aller avec ça.
Louis : C’est très bon ça. Moi, j’aime beaucoup ça. Ça termine justement notre partie invité des rendez-vous avec l’intelligence artificielle en éducation. Un gros merci, Simon. C’était une belle conversation. On aurait pu parler pour deux heures de plus.
Simon : Oui.
Jules : C’était passionnant. Un gros merci, Louis. Un mot de la fin?
Louis : Non. Merci, Simon, merci d’avoir accepté de participer au rendez-vous avec l’intelligence artificielle en éducation. Tu peux rester avec nous pour la purshase. Là, on va parler de lectures qu’on a faites, on va parler de ressources. Tu peux rester, tu peux quitter. C’est ton choix. Soit certain qu’on te dit un grand merci.
[musique]
Références
Simon Duguay est un enseignant d’éducation aux médias à l’école secondaire De Rochebelle, à Québec, et chargé de cours en didactique des sciences à l’Université Laval. S’intéressant aux nouvelles technologies depuis plusieurs années, il aborde avec ses élèves les différentes notions liées au numérique, comme la robotique, la programmation, le 3D, l’intelligence artificielle et la citoyenneté numérique.