À la rencontre de Delphine Le Serre pour parler de technologie et d’IA en éducation!
Delphine Le Serre est ingénieure, professeure, chercheure et entrepreneure, faisant partie du Top 20 des Femmes qui transforment les EdTech en Europe, qu’a établi le magazine Forbes. Elle a gagné le Prix de la vocation scientifique féminine et le Prix de l’innovation et de l’entrepreneuriat féminin.
Elle est aujourd’hui la cofondatrice et la présidente de la fondation EdHu2050, basée à Montréal. Créée en 2022, cette fondation rassemble les principaux acteurs de l’enseignement autour d’une nouvelle vision de l’éducation, centrée sur l’être humain et devenue nécessaire et urgente, vu la rapide montée en puissance de l’intelligence artificielle.
1re partie du balado avec Delphine Le Serre
Delphine Le Serre : C’est une question à laquelle j’ai beaucoup de facilité à répondre parce que ma passion, pour moi, elle est très claire. Elle est devenue très claire en 2005. En octobre 2005, j’ai découvert véritablement ma passion ou ma mission, ou ma vibration, c’est-à-dire ce qui me fait vibrer véritablement, et c’est l’éducation.
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Louis : Bienvenue aux Conversations pédagogiques avec des passionnées! Initiée par le Centre franco, cette série de balados nous présente des professionnels qui excellent en éducation. Aujourd’hui, je parle avec Delphine Le Serre. Delphine a fait ses études d’ingénieure en microélectronique et en nanotechnologie. Après avoir travaillé dans le domaine, elle étudie et obtient son doctorat en sciences comportementales. Tantôt professeure, tantôt chercheuse, elle crée une plateforme pour aider les jeunes à s’orienter et à échanger professionnellement. Après avoir vendu le tout, on la retrouve aujourd’hui investisseuse dans des projets d’éducation.
Elle a ainsi créé la Fondation EdHu2050, une fondation qui veut, entre autres, adapter l’éducation à l’ère de l’intelligence artificielle. Rencontrons ensemble Delphine Le Serre. Bonjour, Delphine! Je suis très content que tu sois avec moi aujourd’hui dans le cadre de ce balado où on va parler pédagogie, où on va parler de tes passions, on va parler de ton parcours. Parle-moi donc d’une de tes passions, Delphine. On va commencer comme ça, tranquillement.
Delphine : Écoute, Louis, c’est une question à laquelle j’ai beaucoup de facilité à répondre parce que ma passion, pour moi, elle est très claire. Elle est devenue très claire en 2005. En octobre 2005, j’ai découvert véritablement ma passion ou ma mission, ou ma vibration, c’est-à-dire ce qui me fait vibrer véritablement, et c’est l’éducation. Je ne dis pas ça parce qu’on est dans un balado-
Louis : On a bien choisi alors.
Delphine : –d’éducateurs et d’enseignants, mais véritablement, j’étais ingénieure dans l’industrie. C’était une période où j’avais commencé à faire un doctorat en sciences comportementales, donc rien à voir avec le secteur dans lequel j’exerçais, ni avec mon expertise d’origine en tant qu’ingénieure. Mon directeur de thèse m’a proposé, à cette époque, d’enseigner un cours à des étudiants en troisième année à l’université, une vingtaine d’étudiants. Je me souviens, ils étaient 25, et c’était en octobre 2005. J’ai préparé mon cours. J’ai donné ce premier cours qui durait 3 heures, avec une petite pause de 15 minutes entre les 90 premières minutes et la suite.
Je suis rentrée chez moi le soir et j’ai dit à mon petit ami de l’époque : « Je pourrais faire ce métier gratuitement tellement j’aime ça ». J’étais rentrée chez moi et j’avais une énergie encore qui était énorme. Je m’étais sentie tellement vivante, tellement animée, tellement vibrante. Pour moi, ça a été une vraie révélation. Ce premier cours que j’ai donné à Rennes, je m’en souviens très bien, je revois même la salle de classe, la salle de cours, ça a été la révélation que ce que j’aimais faire, c’était transmettre.
C’était, certes, parler devant une audience, oui, parce que le métier d’enseignant a aussi cette caractéristique que de s’exprimer devant les autres. Je pense qu’il faut avoir un certain plaisir à parler en public, mais pas que parce que parler en public, on peut parler de tas de choses et on peut parler en public pour différents objectifs. Là, moi, ce qui m’avait fait véritablement me sentir vivante, c’était le fait de sentir que je pouvais avoir un impact sur la vie des personnes que j’avais en face de moi et que je pouvais les accompagner dans leur cheminement, dans leur réflexion.
Ça a complètement changé ma vie, à tel point que j’ai quitté l’industrie très rapidement pour me dédier à l’éducation quand j’ai eu mon doctorat.
Louis : Quand justement tu parles d’impact, on espère toujours avoir un certain impact comme personne enseignante avec ses étudiants. Comment tu vois l’impact que tu amènes? Est-ce que tu vois des traces de ça ou on prêche dans le désert?
Delphine : Non, je ne pense pas qu’on prêche dans le désert. J’aime à croire qu’on ne prêche pas dans le désert quand on est enseignant. Pour répondre à tes questions, je pense que tout dépend du public. Un enseignant qui s’exprime devant un public, c’est un émetteur, il émet un message, puis, en face de lui, il a un public qui reçoit ce message. C’est exactement les mêmes principes qu’en physique dans ce qu’on appelle le traitement du signal parce que le son de la voix, c’est un signal sonore, et le récepteur l’entend déjà ce signal sonore, ensuite il le décode.
Est-ce qu’il l’écoute? Est-ce qu’il le comprend? Il y a le sonore, il y a les images et il y a l’atmosphère. On sait à quel point, en fonction du public auquel on s’adresse, l’attention qu’on arrive à générer n’est pas la même. Déjà, quand on va s’adresser à un public de tout-petits, l’impact qu’on va avoir, on est capable de le dimensionner, de le caractériser en fonction de l’activité qu’on va faire avec eux. On peut avoir un impact qui va durer effectivement toute leur vie.
Tout comme on peut ne pas avoir d’impact si on fait une activité qui ne va pas être une activité qui va les changer de leur quotidien et qu’ils vont mémoriser. Il y a travailler avec un public de tout-petits, avec une capacité d’attention qui est beaucoup plus faible que lorsqu’on est à l’âge adulte. Il y a travailler avec un public qui est adolescent, avec tous les tourments que l’on connaît à l’âge de l’adolescence, qui sont dus aux changements hormonaux et aux questionnements dans cette période de transition entre l’enfance et l’âge adulte.
Qui est une période qui, je pense, est parmi les plus complexes d’une vie humaine et qu’on a tardé à bien caractériser en psychologie et en sociologie, à bien comprendre dans sa complexité. Qui est à la fois physiologique, psychologique et sociologique parce que l’adolescent vit en groupe beaucoup, en identification. Après, il y a le public adulte. Ce public adulte, encore une fois, il est très divers parce que ça dépend de la période de la vie de l’adulte en question, de l’adulte qu’on a en face de soi, ça dépend de la taille du groupe.
Pour répondre à ta question, j’aime à croire effectivement qu’on a un impact, mais avoir de l’impact quand on est un enseignant, il faut avoir conscience que ça dépend de nous, de nos qualités d’orateur, de présentateur, de ce que j’appelle le magic maker, ce faiseur de magie que l’on doit être dans l’enceinte, la classe, l’amphithéâtre, l’extérieur. On peut faire un cours dans un parc dans lequel on va concevoir notre discours et notre présentation, parce qu’un cours, qu’il soit théorique ou pas, on peut être dans la pédagogie par la pratique, et je crois beaucoup à ça.
On reste encore dans une mise en scène que l’on travaille. Il y a le décor, il y a le discours. Tout ça joue dans le fait de capter l’attention et d’amener le regard de ceux à qui l’on parle vers nous ou vers ce vers quoi on souhaite que leur regard se porte dans le cas d’une expérimentation, et les garder avec nous dans le cheminement intellectuel dans lequel on veut les amener. Il y a nous, il y a le décor, il y a comment est-ce qu’on met tout ça en place avant le cours, la classe, l’intervention, comment on peut l’appeler.
Après, il y a, effectivement, à qui l’on s’adresse. Bien évidemment, tout ça, le à qui l’on s’adresse, en fonction de la multiplicité des profils de à qui l’on s’adresse, de la quantité de personnes à qui l’on s’adresse, de leur différence d’âge, de leur différence de culture, du moment de vie, c’est là aussi où nous, dans la conception de notre message, il faut qu’on le prenne en considération en amont. Ça, tous les éducateurs le savent. Oui, je pense qu’on peut avoir un impact. J’ai eu la chance, je pense, d’avoir un impact auprès d’un certain nombre de mes étudiants.
J’ai fait quelque chose il y a quelques mois, je crois que c’était en janvier 2024 ou décembre 2023. J’ai envoyé une lettre LinkedIn à destination de mes anciens étudiants et ça a été extraordinaire. Ce message a été diffusé à, je pense, quasiment une grande partie, en tout cas, des étudiants à qui j’ai enseigné ont vu ce message et je leur demandais de mettre un pouce à ce message si, au moment où ils le lisaient, ils étaient heureux dans leur vie, alignés avec ce qu’ils voulaient faire et qu’ils avançaient vers l’accomplissement de leurs rêves.
Écoute, j’ai eu beaucoup de pouces, puis j’ai eu beaucoup de témoignages en dessous où ils m’ont expliqué ce qu’ils étaient en train de faire aujourd’hui et c’était extraordinaire.
Louis : Ce que j’entends de ce que tu dis, donc on est un peu responsable de l’impact parce que c’est nous qui mettons les conditions. Est-ce que ça veut dire alors qu’une personne enseignante doit avoir cette capacité d’adaptation intense, d’être capable de s’adapter et d’être capable de lire son groupe, de voir? Parce que tu ne peux pas être juste en avant, puis donner ton cours. Est-ce que c’est possible, est-ce que c’est difficile de toujours être en train de s’adapter, de changer finalement?
Delphine : Encore une fois, il y a plusieurs questions dans ta question. Oui, c’est difficile. Déjà, c’est nécessaire effectivement de s’adapter, mais de s’adapter dans le sens où l’on doit, quand on est enseignant, disposer, je pense, d’une empathie extrêmement forte. C’est une qualité que de disposer d’empathie quand on est enseignant parce que c’est ce qui nous permet véritablement de percevoir les émotions des autres. Im patior, c’est cette capacité à sentir, et le patior, c’est la souffrance en latin, à sentir l’émotion à l’intérieur des autres.
Je pense que l’adaptabilité telle que je l’interprète au vu de mon expérience d’enseignante, c’est notre capacité effectivement à percevoir l’énergie du groupe qu’on a en face de nous, l’énergie de l’émotion globale, puis à percevoir également parce qu’il faut la contrôler. Nous sommes le chef d’orchestre à l’intérieur de la classe, donc–
Louis : Soit on ajoute un petit peu de bois dans le feu pour que ça brûle un peu plus ou un peu moins, dépendant de comment tu as analysé le groupe qui est devant toi, c’est ça que j’entends.
Delphine : Exactement. On doit vraiment se connecter à l’énergie du groupe, sentir cette énergie, puis ensuite adapter les stimuli en fonction de ce que l’on veut générer. C’est vraiment comme un chef d’orchestre. C’est pour ça aussi que c’est un exercice qui nécessite une très grande intelligence socioémotionnelle, selon moi. C’est-à-dire, il faut bien se connaître déjà soi-même, être en pleine maîtrise de ses émotions et être capable de les identifier, puis de bien les gérer. Être capable rapidement d’identifier et de gérer les émotions du groupe parce que l’enseignant doit être en contrôle de son groupe.
Être en contrôle de ce groupe, ça ne veut pas dire être en coercition. Ça veut dire que c’est lui le chef d’orchestre, c’est lui qui mène la danse pendant le cours. Il est en coconstruction avec les élèves, bien évidemment, mais c’est quand même lui qui est le chef d’orchestre. Je pense qu’encore aujourd’hui des participants à une session de formation, qu’on l’appelle un cours ou pas, et qu’on les appelle des élèves, des étudiants, des participants en fonction de leur âge, qu’ils aient 3 ans ou qu’ils aient 50 ans.
Ils attendent celui qui est en posture d’enseignant, qui est devant eux seul sur l’estrade, c’est souvent le cas, qu’il joue ce rôle de chef d’orchestre. Ils s’en remettent à lui ou à elle pour les guider quelque part, comme quand on va au théâtre. Un cours, ce n’est pas une théâtralisation, ce n’est pas une pièce de théâtre, mais les gens sont face à un individu, puis ils attendent qu’on leur donne le– : là, qu’est-ce qu’on doit faire, où est-ce qu’il faut qu’on regarde, puis on regarde et on est mené. Je pense, ce guide.
Louis : J’appelle ça faire preuve d’intelligence pédagogique. D’être capable, comme tu l’as si bien dit. Après ça, j’ajoute, je ne sais pas si tu vas être d’accord avec ça, de remettre un peu à l’étudiant ou à l’élève la responsabilité d’apprendre. Dans le sens que je te donne du pouvoir, tu peux l’exercer parce que je ne veux pas tout contrôler, je vais te donner les grandes lignes, je vais essayer de t’influencer. Après ça, je vais devenir un guide pour t’appuyer dans ta démarche. Je ne suis pas le maître suprême qui va te remplir avec mon contenu.
Après ça, au test, tu vas me recracher le tout sur une feuille blanche, puis c’est ça, mon travail, là. Je ne sais pas qu’est-ce que tu penses de ça.
Delphine : Je suis complètement d’accord avec toi. Je pense qu’on est en train véritablement de passer de la prise de conscience que l’éducation n’est pas cet acte de remplissage comme d’un vase avec un socle de connaissances, mais que l’éducation, ou du moins l’un des rôles de l’éducation, c’est de mettre à disposition un savoir, l’accès à un savoir. C’est déjà ça. Nos écoles sont des portes d’accès vers le savoir, nos enseignants sont des véhicules de ce savoir, donc c’est une chance pour toute personne qui pénètre dans une école ou qui est en contact avec un enseignant que d’avoir accès à ce savoir.
Ensuite, cette chance, c’est au récepteur, au participant de s’en saisir ou pas. Notre rôle à nous, d’éducateurs, c’est d’aider le participant, l’élève, à développer sa réflexion critique, à développer sa capacité de mise en perspective de connaissances qu’il va acquérir tout le long de sa vie pour se faire sa propre opinion. La connaissance est quelque chose qui est en processus constant de construction. Les connaissances dont on dispose aujourd’hui, elles sont moins erronées que celles dont on disposait il y a 50 ans ou il y a 20 ans, mais on sait qu’elles sont plus erronées que celles dont on disposera dans 15 ans, dans 20 ans.
C’est un processus de construction, la connaissance, et il faut aussi rester très humble. Si chacun reste dans une posture humble par rapport à la connaissance, on arrive plus à se positionner en tant que générateur de développement d’esprit critique, je pense.
Louis : C’est là que, dans notre conversation, on arrive, on dit : « C’est beau les grands principes. », et là, tout d’un coup, il y a l’intelligence artificielle qui arrive. Comment ça va influencer justement parce que, là, on a des personnes enseignantes qui nous écoutent là, et qu’est-ce que tu aurais le goût de dire? Là, on pourrait parler de l’intelligence artificielle longtemps, puis prendre plein de chemins et tout, mais par rapport à ce qu’on vient de dire, comment un prof devrait réagir face à cette nouvelle bébête qui s’appelle l’intelligence artificielle?
Delphine : Tu sais que l’intelligence artificielle, c’est l’un de mes piliers d’expertise. C’est ce que je connais très bien à la fois par ma formation d’ingénieur, puisque c’est vraiment le socle technique qu’on retrouve à l’intérieur de l’IA, tout ce qui est en lien avec les softwares, qui constitue mon premier socle de connaissances. Puis, mon doctorat en sciences comportementales, c’est 80 % de ce qu’est l’intelligence artificielle, puisque l’intelligence artificielle est une imitation de l’intelligence humaine, du moins de ce que l’on a appelé l’intelligence humaine, c’est-à-dire du traitement cognitif des êtres humains. On est parti de la connaissance.
Louis : Une petite partie. Quand tu dis l’imitation. Non?
Delphine : À l’origine, c’est ça qui est intéressant, déjà pour répondre à ta question : Quel conseil donner aux enseignants aujourd’hui face à l’intelligence artificielle, à cette bête, comme tu l’appelles? Mon premier conseil, ce serait d’essayer de comprendre ce qu’est l’intelligence artificielle. Pour essayer de comprendre ce qu’est l’intelligence artificielle, je trouve qu’il n’y a rien de plus intéressant que de revenir aux origines de cette technologie. D’où elle vient, cette technologie? Pour quelles raisons, à un moment donné, il y a eu des êtres humains qui se sont dit : « Tiens, pourquoi ne pas essayer de créer des machines qui imiteraient les êtres humains? »
À l’origine de la création des solutions d’IA qu’on a aujourd’hui, c’était ça l’objectif et c’était ça le grand questionnement, c’était : « Les machines peuvent-elles penser? » La phrase de départ, le questionnement d’origine d’Alan Turing, quand il commence à réfléchir à ce que l’on a appelé par la suite les solutions d’IA, sa question de départ c’était : « Les machines peuvent-elles penser? », après la Seconde Guerre mondiale. Qu’est-ce qui s’est passé? Il s’est passé qu’il a commencé à travailler sur cette question.
Il s’est nourri énormément des travaux de recherche qui ont été réalisés par des chercheurs en sciences comportementales directement et également après la Seconde Guerre mondiale. Comme tu le sais, après la Seconde Guerre mondiale, le monde découvre, horrifié, ce qui s’est passé dans les camps de concentration. C’est là où les chercheurs en sciences comportementales s’interrogent beaucoup sur comment des êtres humains ont-ils pu être contrôlés, influencés par une entité extérieure qui soit une entité hiérarchique avec un pouvoir supérieur, qui les amène à commettre l’irréparable?
C’est là où, nourris par ces questionnements, les chercheurs en sciences comportementales, et notamment Stanley Milgram sur son campus aux États-Unis, mais d’autres, commencent à mener des expériences qui vont nous permettre finalement de comprendre comment fonctionne le cerveau humain. Que le cerveau humain, il sert bien évidemment à contrôler et à réguler nos fonctions vitales, physiologiques, mais il nous sert à nous d’ordinateur de bord dans nos prises de décision principalement. On prend nos vies, nos journées sont une succession de prises de décision.
L’un des premiers processus que l’on est capable de décrire grâce aux travaux de recherche de ces chercheurs, c’est le processus de prise de décisions d’un être humain qui est un processus en six étapes que l’on a identifié, modélisé, que l’on a caractérisé. On s’est rendu compte que c’était un processus qui était influencé par un certain nombre de variables. On s’est rendu compte qu’il y avait un deuxième processus qui était complémentaire à celui-ci, qui est le processus d’apprentissage, de mémorisation et d’apprentissage, donc de learning.
C’est ce qui a donné par la suite, lorsqu’on l’a transféré technologiquement aux machines, c’est ce qui a donné le machine learning, la capacité d’apprendre aux machines. Ces deux processus, le processus de prise de décisions et le processus d’apprentissage, sont deux processus qu’on a été capables de modéliser à travers des modèles mathématiques et qu’on a été capables de transférer de manière technologique dans des machines. On a été capables progressivement d’imiter le processus de prise de décisions d’un être humain et le processus de mémorisation, d’apprentissage d’un être humain grâce aux travaux de recherche qui ont été réalisés entre la Seconde Guerre mondiale et le début des années 2000, avec une amplification dans les années 2010.
C’est ce que nous avons appelé l’intelligence artificielle parce qu’elle est le résultat de travaux de recherche qui visaient à imiter ce qu’on appelait l’intelligence humaine, c’est-à-dire ce qu’était le processus de prise de décisions d’un être humain et le processus d’apprentissage d’un être humain. À partir du moment où l’on comprend ça, et pour moi, c’est indispensable déjà que les enseignants comprennent ce qu’il y a à l’intérieur de cette boîte noire. Déjà, ça doit être éclairant sur : « Très bien, je comprends quel était l’objectif et, par conséquent, maintenant, je comprends mieux, entre guillemets, comment fonctionnent un petit peu ces machines avec des entrées et des sorties. »
Après, comprendre qu’on est à la deuxième génération aujourd’hui. C’est-à-dire, on est aux deuxièmes grandes fonctionnalités d’imitation qui ont été transférées aux machines. La première fonctionnalité d’imitation qui a été transférée aux machines, c’était la capacité à analyser et à catégoriser des textes, des audio, des images principalement, où les machines ont été capables de faire la différence entre un chien et un chat, par exemple. Exactement comme un être humain est capable de faire la différence entre un chien et un chat en termes de sorties, mais l’être humain, un enfant de 6 ans, fait la différence entre un chien et un chat.
Au bout de quatre fois où on lui a montré un chat, il est capable d’identifier et de dire : « Ça, c’est un chat. » La machine a encore besoin de millions d’images pour nous dire : « Ça, c’est un chat. » C’est ça qui est intéressant. Nous, on est une machine extraordinaire. On l’ignore trop souvent, mais on est une machine extraordinaire. Cette capacité à reconnaître, c’est la première capacité qui est d’imitation, qui a été transmise aux machines. Elle a été acquise entre les années 2010-2012.
La deuxième capacité humaine que nous avons transmise aux machines, c’est la capacité à générer. On parle beaucoup de l’IA générative, c’est la capacité à générer des textes, à générer des images, à générer des sons, à générer des mouvements également.
Louis : Est-ce que tu pourrais dire que générer, ça veut dire comme créer, c’est ça?
Delphine : Oui, tout à fait.
Louis : Générer, ça veut dire créer?
Delphine : Oui, créer, mais ça va même plus loin. Oui, générer, quand on génère un texte, ça veut dire que la machine crée un texte. Ce texte, pour l’instant, pour la machine, c’est un moyen– Ce texte ou cette image, pour celle qui génère une image, qui crée une image, ce son pour celles qui génèrent des sons. Après, on a combiné l’image, la capacité à générer une image et la capacité à générer un son, ça nous a fait générer des vidéos, et cetera. Aujourd’hui, on combine les différentes fonctionnalités.
Cette capacité à générer des supports texte, audio, vidéo, c’est la capacité à communiquer que nous avons transférée aux machines, mais à communiquer avec nous. Juste avant ça, avant l’IA générative, les machines communiquaient déjà entre elles à travers un langage informatique. Maintenant, en leur fournissant cette capacité à générer, on leur a fourni la capacité de communiquer avec nous. Dans nos langages à nous, dans nos formes de langage à nous qui sont des textes écrits, des langues parlées, des audio, des chansons et/ou des images. C’est ainsi que les êtres humains communiquent depuis que les êtres humains ont commencé à mettre en place les langages.
Là, on a passé une étape qui était une étape disruptive, effectivement. Oui, elle crée, mais elle dialogue avec nous, elle communique avec nous et nous communiquons avec elle. Nous leur posons des questions, par exemple, sur ChatGPT, elles répondent à ces questions, et ça, c’est la deuxième étape. Là, on va passer bientôt très rapidement à la troisième génération de solution intelligente ou troisième grande habileté que nous transférons aux machines, c’est l’habileté d’agir. C’est les solutions d’intelligence artificielle qui seront capables de mener des actions, des actions coordonnées, des actions séquencées dans le temps : créer un site Internet, passer un appel téléphonique pour toi, et cetera.
On peut se dire, elles le font déjà parce que tu peux dire : « Siri, appelle telle personne. Siri, dis-moi quel temps il fait. », mais là, c’est : tu seras capable de te construire directement un business model. Si tu as besoin, tu lui soumets, tu lui dis : « Tiens, je réfléchis à telle idée. Est-ce que tu pourrais me concevoir un petit peu le canevas de ce modèle d’affaires? » On passe, on va arriver à des IA qui vont être action oriented. C’est ce qu’on appelle l’IA capable.
Louis : La personne enseignante, dans sa classe, qui vient d’entendre ça, là, elle a dit : « Okay. » Elle a dit : « Je veux tout donner à mes élèves, je veux les préparer. » J’entends ça, puis je me dis : « Okay. C’est quoi ma première ou prochaine étape après avoir compris. » parce que, là, tu viens d’expliquer d’où ça vient, et cetera. Que l’on s’en va bientôt dans l’IA action qui va faire des choses pour nous, et cetera. Qu’est-ce que tu dirais, là?
Admettons que c’est le début de l’année scolaire, tu te retrouves devant un groupe de personnes enseignantes. On a eu certaines situations l’année dernière, où on s’est posé des questions. Là, certains élèves sont arrivés avec des travaux qui avaient été faits uniquement avec l’intelligence artificielle. Là, ça a commencé à brasser chez nous toute la question d’évaluation, et là, on se dit : « Okay, cette année-là, on est conscients que nos élèves sont dans ce monde-là et nous on veut faire quelque chose, on veut, encore une fois de bonne foi, les préparer. » Qu’est-ce que tu leur dirais?
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Pour entendre la suite de ce balado ou encore pour accéder aux autres balados de la série, visitez le site Internet du Centre franco et consultez l’onglet des formations offertes sous Les Instituts 24/24. Vous pouvez aussi avoir accès aux balados sur Spotify. Enfin pour communiquer avec nous, veuillez utiliser l’adresse courriel suivante : info@lecentrefranco.ca.
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2e partie du balado avec Delphine Le Serre
Il y a des questionnements sur le aujourd’hui, finalement, que devons-nous enseigner aux élèves qui sont aujourd’hui dans les écoles?
Louis : Bienvenue aux Conversations pédagogiques avec des passionnés! Initiée par le Centre franco, cette série de balados nous présente des professionnels qui excellent en éducation. Aujourd’hui, nous retrouvons Delphine Le Serre pour la suite de notre conversation. À la fin du premier extrait, Delphine nous posait la question : « Que faisons-nous avec nos élèves en salle de classe lorsqu’on sait que l’intelligence artificielle peut de plus en plus agir et faire des actions coordonnées à notre place? »
Delphine : Moi j’essaierais de me mettre à leur place déjà. Tu sais, je te disais, pour moi, le principe d’empathie, c’est le principe qui est au cœur de l’éducation. Moi, si je me mets à la place de l’enseignant, ce que j’ai été pendant quasiment une quinzaine d’années, quand j’étais enseignante, je prendrais les objectifs pédagogiques que je dois atteindre à la fin de l’année avec chaque classe. Prenons une classe. Je prendrais les objectifs pédagogiques que je dois atteindre avec la classe en question, c’est-à-dire le programme, puisque, très souvent, on a un programme avec des connaissances qui doivent être acquises ou le curriculum. Soit des connaissances, soit des compétences qu’on doit développer chez les élèves parce que, souvent, c’est ça.
Je vais faire une parenthèse par rapport à ces connaissances/compétences parce que, et ça, je pense qu’il y a une grande partie de l’auditoire qui l’aura compris, mais, aujourd’hui, il y a une très grande remise en question du curriculum traditionnel dans l’ensemble des pays du monde, et qui est remise en question, qui est alimentée également par des travaux de plusieurs laboratoires, par des travaux qui sont menés par l’UNESCO, compte tenu de l’arrivée de l’intelligence artificielle.
Il y a des questionnements sur le aujourd’hui : « Finalement, que devons-nous enseigner aux élèves qui sont aujourd’hui dans les écoles, que ce soit les plus petites jusqu’au cursus universitaire, compte tenu de l’arrivée de l’intelligence artificielle et de la présence de l’intelligence artificielle dans nos sociétés. Pourquoi cette question, elle est au cœur des débats? » Parce que, déjà, on le voit dans la sphère économique que l’intelligence artificielle a cette capacité de discuter, excuse-moi, je cherche le terme en français, de transformer très fortement des pans entiers de l’économie en se positionnant sur des métiers et en remplaçant un certain nombre de fonctions, puisqu’encore une fois, c’est une imitation de fonctionnalités humaines.
Bien évidemment, elle est capable de remplacer des humains sur des fonctionnalités qui étaient réalisées auparavant. Notamment, aujourd’hui, sur les tâches administratives, mais pas que. On le voit aujourd’hui, les tâches administratives, mais aussi les tâches de création. Création de textes, création d’images. On peut l’utiliser pour générer énormément de choses, puis, demain, on va pouvoir l’utiliser pour agir. Elle va pouvoir, à notre place, faire des choses, être dans l’action. Ce qu’il faut que les enseignants comprennent, c’est que la réflexion et la remise en question sur le quotidien d’une entreprise, il est permanent.
Tu parlais de l’adaptabilité de l’enseignant. En entreprise, ils doivent être aussi extrêmement adaptables tant du CEO jusqu’à l’assistante, jusqu’aux opérationnels. Cette réflexion, qui est menée à cause de ce brouillard, parce qu’on est véritablement dans le brouillard aujourd’hui, et aujourd’hui il n’y a pas un expert de l’intelligence artificielle qui est capable de se prononcer de manière consensuelle sur ce vers quoi on avance. Les présidents d’université, les directeurs d’école, même de grandes écoles internationales, s’interrogent tous aujourd’hui sur « Que devons-nous enseigner à nos étudiants? ».
Sur cette question, on sait qu’on a déjà des éléments de réponse. On sait que les compétences de demain sont les compétences des humains qui travailleront avec ces outils d’intelligence artificielle dont on connaît les principales habilités sur les encore deux, trois années à venir. Elles sont capables de reconnaître. On a dit tout à l’heure de reconnaître des textes, et cetera, des images. Sont capables de générer, c’est-à-dire de communiquer avec nous, générer des textes, générer des images, et qu’elles vont être capables également d’agir, c’est-à-dire de mener des actions qui sont séquencées dans le temps.
Les êtres humains que nous, on doit former pour qu’ils aient une activité économique, pour qu’ils soient indépendants financièrement parce que c’est la règle sur cette planète et que l’école sert aussi à ça, pas que. Ça, je vais y revenir, mais l’école sert aussi à ça. C’est-à-dire à aider un être humain à devenir un citoyen, et pour être un citoyen accompli, ce citoyen accompli il lui faut une indépendance financière, une indépendance économique. C’est ce qui lui permet derrière d’accéder à une maison, d’avoir de quoi manger dans son frigo et puis de pouvoir vivre une vie équilibrée et sereine, et c’est aussi notre rôle, mais ce n’est pas que ça.
Aujourd’hui, on sait que les compétences sur lesquelles on doit former les êtres humains et puis les reformer pour ceux qui sont déjà sur le marché du travail, ce n’est plus du tous les anciennes STEM, sciences, technologie, mathématiques, ce n’est plus du tout ça parce que toutes ces compétences très techniques, elles sont facilement transférables aux machines.
On le voit déjà aujourd’hui avec les développeurs qui récupèrent du code, qui est généré directement par des solutions d’IA génératives. Tout ça, ça va pouvoir être récupéré par les machines, et ce sur quoi on doit faire travailler et monter en compétences ces êtres humains, c’est le développement de ce qu’on appelle les soft skills, c’est-à-dire l’intelligence socioémotionnelle dont je parlais tout à l’heure, l’esprit critique à travers le raisonnement simple et le raisonnement complexe. Ça, j’y reviendrai parce que ça, c’est sans doute ce qui va être le plus grand défi des enseignants dans les années à venir.
À côté des outils d’intelligence artificielle générative, ça va être de maintenir une exigence académique élevée auprès des étudiants pour qu’ils soient capables de développer un raisonnement simple et un raisonnement complexe de qualité. Pour moi, le plus gros challenge, ça va être l’esprit critique. Ensuite, on a le développement de la créativité, le développement de l’intuition. Intuition, créativité et perception sensorielle. Ça s’appelle compétences quand tu les regardes dans les rapports fournis par les grands cabinets d’études, les Deloitte, KPMG, et cetera. C’est extrêmement intéressant de trouver le développement de la perception sensorielle comme étant une compétence. Pour ça, moi, je parle plutôt d’habileté, et ce sont ces éléments qu’il va falloir retravailler avec les êtres humains parce que, comme on sait que les machines vont récupérer l’habileté cognitive, parce qu’elles ont été conçues pour ça, comme je t’ai expliqué. Tu vois, quand on comprend les origines de l’IA, on se dit : « Les machines récupèrent notre capacité à traiter des informations, à les catégoriser, à générer. »
Louis : Il n’y a plus besoin de le faire finalement parce que la machine le fait.
Delphine : Exactement, mais cela dit, il faut que l’être humain, pour être complémentaire avec la machine, il faut que pour que l’être humain trouve une place à côté des machines, il va falloir que lui, il développe tout un socle d’habiletés, de compétences que l’on n’avait pas l’habitude du tout de travailler à l’école. C’est ma parenthèse. C’est une parenthèse qui est un petit peu comme une boîte de Pandore, et j’en ai conscience, mais ce que je voudrais, c’est juste que les enseignants qui nous écoutent comprennent que le sujet de l’intelligence artificielle, il soulève des questionnements qui sont très profonds aujourd’hui et que ces questionnements profonds sont abordés par les institutions gouvernementales.
Nous, on travaille beaucoup à l’intérieur de ma formation avec l’UNESCO. On est membre de la Fondation des Nations unies. On organise un événement en septembre avec un événement officiel du calendrier de l’assemblée générale des Nations unies qu’on a appelé Human Education Summit. Tous ces questionnements sur comment l’IA vient bouleverser les curriculums, on va justement les adresser avec des présidents d’universités, avec des directeurs des départements avec des directeurs d’école, et puis des experts, des intellectuels, des chercheurs qui vont venir pour essayer de donner la vision, une vision la plus claire possible aux dirigeants d’établissements.
Je ne voudrais pas que les enseignants portent sur leurs épaules toute une responsabilité qui doit être partagée parce que, là, on est aujourd’hui dans un véritable changement de paradigme dans l’éducation. Le fait de rester fidèle au programme, et bien évidemment les enseignants vont encore rester fidèles aux programmes qui existent jusqu’à maintenant parce que c’est ce qu’on va leur demander, mais les programmes vont être amenés progressivement à se transformer, ça, c’est évident. Je ferme cette parenthèse.
À partir du moment où l’enseignant comprend ce qu’est cette technologie, ce qu’elle est en train de transformer, l’idée, c’est de se dire : « Très bien, les étudiants ont accès à cette technologie parce que, malheureusement, on peut difficilement l’interdire. Comment je fais pour atteindre les objectifs pédagogiques que je dois atteindre en considérant que les étudiants-
Louis : En sachant cela?
Delphine : -vont pouvoir avoir accès? Voilà, en sachant cela. Il y a comment je fais, c’est déjà comment je donne mes cours? Quels cours je vais leur donner? Est-ce que, pendant mes cours, je vais être à leur présenter de la connaissance comme je pouvais le faire encore auparavant en top-down? Est-ce que, pendant mes cours, j’inverse et puis je les mets à travailler en petits groupes sans usage de ChatGPT ou du IA générative quelle qu’elle soit ou avec usage? Est-ce que je ne fais, en fait, que de la pédagogie par l’action dans mes cours? J’évalue la participation. Je sais qu’il y a une note d’évaluation de travail en groupe, de travaux individuels à la maison, d’examen sur table, et cetera.
Chacun construit la note finale en fonction de pondération, puis comme il le souhaite, mais il y a une remise en question à la fois finalement des séances de cours avec les étudiants, comment je vais faire? C’est là où l’enseignant doit revenir véritablement sur de l’interaction et de l’action pendant les cours. Pour moi, c’est évident. L’IA, elle nous amène à ça. On ne peut plus juste être dans– S’il y avait encore des enseignants qui étaient dans cette ancienne posture du– sachant face aux élèves qui apprennent, là, définitivement, on va être en action. Il y a la réflexion de l’évaluation.
Ça, c’est certain que, là, l’évaluation, il va falloir réfléchir à un mode d’évaluation où l’on évalue l’acquisition de la compétence ou de la connaissance quasiment en temps réel avec les étudiants, avec eux devant nous.
Louis : Ce n’est pas la machine qu’on va évaluer, c’est la personne. Je trouve ça intéressant. En même temps, je me dis : « J’aurais peur que les gens trouvent ça complexe de dire : « C’est tellement gros comme changement. » » Tantôt, tu as dit changement de paradigme. Quand on parle d’un changement de paradigme, c’est majeur. Je ne sais pas ce que tu penses de tout ça. Je donne toujours l’image. Quand je parle d’intelligence artificielle, c’est comme si tu avais un assistant ou une assistante à côté de toi, que tu peux lui demander à peu près n’importe quoi, tant positif que négatif. Parce qu’elle te connaît, elle va te répondre, mais là, elle va pouvoir agir.
Si tu transposes ça dans une classe, où est-ce que tu as un élève qui a toujours quelqu’un à côté de lui ou elle pour l’aider, comment tu fais, le prof ou la prof en avant, pour t’assurer qu’il y ait, entre guillemets, de l’apprentissage chez la personne? Parce qu’on pourrait peut-être dire que, techniquement, elle n’a peut-être pas besoin de toi, le prof, parce qu’à côté de toi son assistant/assistante va répondre à tous ses désirs et répondre à toutes ces questions. Si tu ne tiens pas compte de ça, tu peux peut-être manquer le bateau comme personne enseignante.
Delphine : Tout à fait. C’est une excellente remarque que d’introduire directement les assistants virtuels, effectivement. Les étudiants sont devenus très familiers avec l’usage de l’IA générative extrêmement rapidement. Ils sont très à l’aise avec cela. Il y a plusieurs éléments encore dans ta question. Si l’on prend déjà l’usage des assistants virtuels pendant les temps de classe à l’intérieur de la classe et pendant les temps à l’intérieur de l’école. Ça, c’est une question à laquelle je pense qu’on peut répondre.
En tout cas, moi, d’un point de vue d’enseignant, je pense qu’à partir du moment où un élève fait l’effort de rentrer dans une salle de classe pour écouter un enseignant, s’il s’est déplacé pour venir apprendre de cet enseignant, son attention doit être sur l’enseignant et que ce n’est pas rendre service à l’élève que de lui laisser dans la poche, de rendre disponible un outil qui l’amène à distraire son attention, quel que soit cet outil. Je pense que ce n’est ni lui rendre service, ni en fait respectueux pour l’orateur, l’enseignant en question. En fait, c’est une conversation. Un enseignement, c’est une conversation, c’est une personne qui parle. Parfois, la parole est distribuée à l’intérieur de la classe.
Ce n’est pas juste une personne qui parle et puis les élèves ne parlent pas, la parole est distribuée. J’ai souvent dit dans mes cours : « J’aimerais que, chaque fois que quelqu’un prend la parole, nous l’écoutions. » On fait en sorte de respecter celui qui parle. La première marque de respect, c’est le silence, et puis c’est l’écoute active. Ce n’est pas faire semblant d’écouter. Que ce soit moi qui parle ou que ce soit un des élèves de la classe des participants, la règle est la même exactement pour tout le monde à l’intérieur de l’enceinte de la formation. Ça, c’est déjà extrêmement important parce que c’est là où l’on crée ensemble. On est dans la cocréation, c’est là où l’on crée le groupe et là où l’on crée ensemble.
On redonne du sens au fait que les élèves se déplacent pour venir dans une école et dans une salle de classe pour assister à un cours, sinon ça ne fait pas sens. Si en fait ils sont dans une salle de classe, mais qu’en fait ils sont sur leur téléphone, il vaut mieux qu’ils restent chez eux. Ça ne fait pas de sens.
Louis : Ils pouvaient le faire n’importe où.
Delphine : Voilà. Ils pouvaient le faire n’importe où. Ça ne sert à rien de venir à ce moment-là en salle de classe. Pour moi, un élève qui va dans une salle de classe pour assister à un cours par un enseignant, il doit donner toute son attention à cet enseignant. Effectivement, l’assistant personnel, il n’a pas lieu d’être présent dans la salle de classe, sauf si, à un moment donné, l’enseignant veut justement pratiquer un exercice avec les assistants virtuels. Pourquoi pas? Ça peut être réalisé par la suite, mais, je pense, dans un second temps, ça peut être réalisé pour les amener à prendre conscience d’un bon usage de ces assistants virtuels.
Louis : C’est ça. Si l’intention pédagogique est claire dans l’utilisation de l’outil, je pense qu’il n’y a pas de problème. Si on n’en est pas conscient, il est juste là, puis il peut faire n’importe quoi, c’est comme n’importe quelle technologie finalement. Si l’intention pédagogique est claire, il a sa place. Sinon, il faut se poser des questions, je pense.
Delphine : C’est exactement ça. C’est comme tu dis, c’est comme n’importe quel outil. On ne doit mobiliser les outils que lorsqu’ils nous paraissent cohérents avec l’objectif de la session qu’on est en train de mener. Je dis souvent, « Peut-être que, parfois, il sera plus intéressant d’aller faire une balade en forêt avec nos étudiants, quel que soit ce que l’on veut leur apprendre. » Je n’en sais rien. L’impact de la lumière sur la photosynthèse ou quel que soit ce qu’on veut leur enseigner. Parfois ça peut être plus intéressant de revenir à des outils réels pratico-pratiques. La technologie, on ne doit la mobiliser que quand ça fait du sens de la mobiliser et non pas parce que c’est à la mode ou parce que ça fait partie d’un buzz actuel.
Louis : Je vais juste te donner l’exemple que je donne. Quand je dis ça, je dis c’est comme consulter une application de météo. Vas-y dehors. Va voir s’il pleut. Va voir s’il y a du vent, et cetera. Ça va être le meilleur outil pour voir c’est quoi la température à l’extérieur. Va faire un tour dehors.
Delphine : Complètement. Tout à fait. C’est exactement ça. C’est ce qu’on peut appeler le bon sens, tout à fait. En plus, derrière, il y a un élément qui va devenir extrêmement important dans les années à venir, qui l’est déjà aujourd’hui, dont les enseignants et les parents ont complètement conscience par rapport à l’usage des téléphones portables, notamment auprès des plus jeunes, des adolescents, c’est le phénomène d’addiction, le phénomène d’influence et puis le phénomène de sécurité sur tout ce qui est cyberharcèlement. Il y a trois dimensions.
Par rapport à ça, malheureusement, on sort du scope de l’éducation, il faut vraiment qu’il y ait une prise en charge du sujet par les parents qui sont aussi malheureusement démunis. Là, il y a de vrais questionnements. Parce que si, déjà, on prend les questionnements actuels sans IA, sans solution d’IA performante, du style assistants virtuels sur les téléphones portables de nos adolescents, on est déjà face à un certain nombre de défis concernant l’usage qu’ils en font sur des volumes d’heures qui sont excessifs, concernant les risques de cyberharcèlement qu’ils peuvent encourir.
Ce qu’on voit et les sujets de questionnements qui sortent aujourd’hui de l’utilisation des assistants virtuels, parce qu’il y a déjà des universités qui se sont dotées d’assistants virtuels depuis des années. Georgia Tech a été la première université à utiliser Watson, l’assistant personnel qui avait été développé par IBM, Dickens University, en Australie, a développé son assistant personnel qui s’appelle Jenny, qui a été un très grand succès, c’est ce qui a permis à l’université de doubler quasiment ses effectifs. Il y en a quasiment 100 000 étudiants aujourd’hui à travers le monde, la moitié sur des programmes en ligne. C’est extrêmement intéressant, mais, en même temps, ce dont on se rend compte, c’est que l’application a un pouvoir d’influence et de régulation de la vie de l’étudiant qui questionne parce que c’est l’application qui va envoyer des notifications en lui disant : « Tu n’as pas travaillé, là, tu n’as pas fait ça, tu n’as pas préparé ton devoir ici. Est-ce que tu veux que je t’aide? Est-ce que tu veux qu’on passe un coup de téléphone au teaching assistant, à l’assistant du professeur? Ici, tu as oublié de rappeler tel amis. »
On se retrouve à avoir un assistant personnel qui va être en maîtrise totale de la vie personnelle d’un adolescent ou de jeune adulte parce qu’il a accès à toutes ces données de vie à l’intérieur de son téléphone portable, ces données de vie personnelle, ces données de vie d’études, les échanges avec ses amis, les échanges avec sa famille, les heures auxquelles il mange, ce qu’il mange, ce qu’il a acheté quand il est passé au supermarché, et cetera. On est en présence d’un assistant qui peut aussi avoir une influence peut-être trop poussée dans la vie d’un jeune adulte ou d’un adolescent. Là, il va falloir être extrêmement vigilant. On va être de toute façon avec des brouillons, on travaille sur des drafts, mais les parents et l’ensemble de la communauté va devoir être extrêmement vigilant.
Louis : Là, Delphine, malheureusement, le temps avance. C’est super passionnant. Je pense qu’on aurait des avenues pour faire une série complète de balados. Moi, j’ai écrit plein de sujets sur mon petit papier à côté en disant : « Il faudrait en prendre un juste pour explorer ça. » Là, aujourd’hui, on va conclure ce balado. Je vais juste te demander, en conclusion, toi, si tu avais à conclure par rapport à qu’est-ce qu’on a dit aujourd’hui, qu’est-ce que tu dirais?
Delphine : Je dirais aux enseignants, aux éducateurs, à tous les passionnés d’éducation qui nous écoutent qu’on a beaucoup de chance aujourd’hui d’être dans l’éducation parce qu’on est en train de vivre une période vraiment extraordinaire de l’éducation. On est en train de vivre un passage où l’on transitionne d’une éducation qui s’était mise, depuis plusieurs siècles, au service de l’économie en ne se concentrant plus que sur le développement de compétences pour mettre sur le marché des agents économiques. On est en train de passer de cette éducation à une éducation où l’on va revenir dans les préceptes des philosophes grecs Socrate et Aristote, où l’on va se reconcentrer de nouveau sur l’épanouissement humain, sur le développement de l’esprit critique et l’épanouissement d’un être humain.
Le rôle de l’éducation, à l’origine, tel que le mentionnait Aristote, c’est d’accompagner les êtres humains dans leur épanouissement. C’est intéressant de voir que c’est l’intelligence artificielle qui ramène l’éducation à ça parce que l’intelligence artificielle va, de facto, nous permettre de remettre plus de temps humain dans nos interactions et plus de temps de pratique et de collaboration dans nos interactions avec les élèves. La technologie, elle n’est pas forcément utile à l’intérieur même d’une séance de cours.
De réfléchir avec cette matière extraordinaire avec laquelle on travaille, de réfléchir au comment de l’appropriation des connaissances qu’on doit leur transmettre et au sens des connaissances qu’on leur transmet, parce que cette question du sens, elle est au cœur de la motivation d’un élève. Si l’élève ne voit pas à quoi lui sert la connaissance qu’on lui demande d’apprendre, il n’aura pas de motivation. Là, on revient à cette question centrale. Moi, si j’avais une conclusion, on n’en a pas forcément l’impression au premier abord, quand on est enseignant et qu’on découvre l’intelligence artificielle à travers les outils d’IA générative, mais si chacun prend le temps vraiment de bien comprendre ce qui est en train de se passer en termes de transition sociale et sociétale, parce que c’est une transition vraiment de société, l’éducation est en train de se transformer, et on va remettre de plus en plus l’humain au cœur de ce que nous sommes en train de faire dans l’éducation, dans les curriculums et puis dans la manière d’enseigner. C’est une période extraordinaire, on a beaucoup de chance.
Louis : Écoute, Delphine, merci beaucoup. Je pense que c’est une conversation passionnante. Je suis certain qu’on va avoir la chance de se revoir, puis de continuer notre discussion à un moment donné. Merci à toi.
Delphine : Merci, Louis.
Louis : À la prochaine!
Delphine : À bientôt, avec plaisir!
Louis : Merci d’avoir écouté ce balado. Pour avoir accès aux autres balados de la série, visitez le site Internet du Centre franco. Vous pouvez aussi avoir accès aux balados sur Spotify. N’oubliez pas, enfin, il est toujours possible de communiquer avec nous en utilisant l’adresse courriel suivante : info@lecentrefranco.ca.