Balado avec Daniel Cyr
Daniel Cyr enseigne les sciences, la biologie et la chimie au secondaire depuis maintenant 25 ans. Au cours de son parcours, il a travaillé à titre de conseiller pédagogique pour l’équipe TacTIC du Centre franco. Il a aussi animé de nombreux ateliers liés à l’enseignement des sciences, en plus de contribuer à la rédaction de cours en ligne, puis à la révision pédagogique et à la production de ressources pédagogiques.
Il est un passionné de sciences, de la nature et de sports de plein air, dont la longue randonnée.
Balado avec Daniel Cyr, 1re partie
Louis : Bienvenu aux Conversations pédagogiques avec des passionnés. Initiée par le Centre franco, cette série de rencontres nous présente des professionnels de l’Ontario-français qui excellent en éducation. [musique] Aujourd’hui, nous parlons avec Daniel Cyr. Après des études en biochimie, comme il ne veut pas faire de recherches, Daniel continue ses études en psychologie. C’est à ce moment-là, alors qu’il travaille à temps partiel dans une maison pour jeunes, qu’il se découvre une passion pour l’enseignement. Il se dit alors qu’après sa formation à titre d’enseignant il essaiera pour un an d’être prof de sciences. 25 ans plus tard, Daniel est toujours là.
Allons maintenant rencontrer Daniel Cyr, un passionné de sciences, un passionné de pédagogie. Bonjour et bienvenu, Daniel Cyr! Je suis très content de t’accueillir aujourd’hui à la balado des passionnés par la pédagogie. Comme je te connais un peu, je sais que tu es un passionné de plein de choses. Ma première question, c’est : parle-moi donc de deux de tes passions.
Daniel Cyr : Deux de mes passions? Je dirais, il y en a deux passions. Évidemment, il y a les sciences. Je suis un prof de sciences, donc évidemment, je vais être passionné de sciences. À chaque fois que je regarde quelque chose autour, je veux savoir comment ça fonctionne, quels sont les principes scientifiques derrière tout ça. Même chose quand j’enseigne mes élèves, c’est de leur expliquer les liens entre les différentes choses pour qu’ils comprennent le monde autour d’eux. Ça, ce serait une de mes passions. La deuxième passion, il y a un lien aussi avec la première, c’est tout ce qui est plein air, surtout la randonnée. J’adore faire de la randonnée, de la longue randonnée.
Il y a un côté scientifique aussi à ça. Quand tu es en forêt, tu as les animaux, tu as la nature, et cetera. Se retrouver en forêt, c’est fantastique. Partir comme ça plusieurs jours avec le minimum sur mon dos, ça, c’est vraiment une de mes grandes passions.
Louis : Si je reviens à ta première passion, qui est prof de sciences, je suis convaincu que, dans ta vie, tu as rencontré des gens qui étaient peut-être moins passionnés par la science, ou des élèves, ou des collègues de travail, ou dans ton entourage, dans ta famille. Qu’est-ce qu’on fait pour donner la passion des sciences à des gens qui ne l’ont pas?
Daniel : Je crois que tout le monde est passionné des sciences, mais peut-être qu’on développe une peur des sciences. Quand je dis : « J’enseigne la chimie. », les gens se disent : « Okay, c’est compliqué. » Mais, dans le fond, la science, c’est le monde autour de nous. Pour les gens qui ne seraient pas passionnés en sciences, je leur dirais un peu : « Quelle est ta passion? » Si ta passion, c’est la cuisine, ta passion, c’est l’agriculture, si ta passion, c’est– peu importe, mais il y a de la science là-dedans. Puis, connaître la science derrière cette passion-là va te permettre d’aller plus loin au niveau de cette passion-là aussi.
Louis : Oui, mais ce n’est pas difficile parce que moi, je peux– Je vais reprendre ton exemple quand tu dis : « [inintelligible 00:03:54] passionné de la cuisine, puis il y a de la science en arrière. » Je suis d’accord avec ça, mais de là à faire le transfert, puis d’être capable de mettre les principes scientifiques en arrière, ça ne prend pas une certaine connaissance pour arriver à faire ça?
Daniel : Oui, évidemment. Il y a des principes de base. Le bon côté, c’est que l’information, elle est beaucoup plus disponible maintenant qu’elle l’était autrefois. On peut aller en ligne, on peut aller chercher l’information. Il ne faut pas avoir peur non plus de demander à des experts, par exemple, des gens dans notre entourage, pas juste un voisin, mais des gens qui ont des connaissances un peu scientifiques. Quand ces gens-là commencent à nous expliquer les principes scientifiques, c’est là où on commence à trouver ça encore beaucoup plus intéressant.
Je te donne un exemple bien bête. Faire de la cuisine, faire un gâteau, tu as besoin du bicarbonate de soude, tu mets du vinaigre. D’un coup, tu te poses la question : « Pourquoi est-ce qu’on met du vinaigre dans un gâteau? Pourtant, mon gâteau, il ne goûte pas le vinaigre à la fin. » Cette réaction-là produit un gaz, c’est ce qui permet de faire gonfler ton gâteau pour qu’il soit plus moelleux. Si tu en mets trop, ton gâteau va goûter le sel parce qu’il y a une réaction chimique qui produit du sel à la fin. Oui, il y a des principes de base, mais il y a plein de sites, il y a plein de ressources qui sont disponibles en ligne. Il y a des gens aussi dans l’entourage où on peut aller chercher de l’information.
L’idée, en même temps, c’est un peu une quête. Quand tu cherches quelque chose, tu regardes un peu partout, tu regardes différentes ressources, différents sites pour aller chercher la bonne information aussi.
Louis : En plus de permettre la transmission de connaissances, est-ce qu’un prof de sciences, finalement, c’est quelqu’un qui fait en sorte que les élèves apprivoisent la science? Qu’ils s’enlèvent cette image de peur, de compliqué, qui fait en sorte que c’est difficile parce que c’est toujours trop compliqué. Finalement, on est vulgarisateur, puis aussi on aide à apprivoiser les sciences?
Daniel : J’aime le terme que tu utilises : apprivoiser les sciences. Je pense que c’est une des premières fois que je l’entends. J’entends beaucoup le terme vulgarisateur. Oui, un prof de sciences, à la base, c’est un vulgarisateur qui permet de vulgariser les concepts scientifiques, mais j’aime beaucoup cette idée-là de permettre aux élèves d’apprivoiser les concepts scientifiques. Je pense que c’est important pour un prof de sciences de relier ces concepts-là à la vie de tous les jours des élèves pour que ça soit ancré dans leur réalité, dans leur vie quotidienne.
Les principes scientifiques, la méthode scientifique, c’est des éléments qu’on utilise dans notre quotidien, que ce soit pour résoudre des problèmes, par exemple, d’avoir cet esprit scientifique-là. Puis, même si les élèves ne poursuivent pas des études en sciences, ce n’est pas grave parce que d’avoir cet esprit scientifique-là, c’est tellement important dans notre quotidien, surtout maintenant avec les fausses nouvelles et les trucs du genre. C’est important d’avoir cet esprit critique-là, puis d’avoir cet esprit analytique, l’esprit scientifique.
Louis : Toi, Daniel, quand tu as un nouveau groupe, mettons en septembre, qui arrive, puis que tu veux qu’il commence à apprivoiser les sciences, as-tu des stratégies particulières? As-tu des choses que tu fais, que tu es super conscient que tu fais ça parce que tu veux un premier départ dans l’apprivoisement, admettons?
Daniel : Je dirais que la première étape, ce n’est pas seulement pour le prof de sciences, mais c’est pour tous les profs, c’est d’apprivoiser les élèves.
Louis : [rires] Okay, donc créer le lien, c’est ça que tu dis.
Daniel : Créer le lien. Celui-là va être encore plus [inintelligible 00:08:13] Peu importe la matière, c’est de créer le lien, de créer ce lien de confiance-là avec les élèves, puis d’apprendre à les connaître, connaître leurs passions, puis voir, si on veut apprivoiser les sciences, voir est-ce qu’il y a moyen de relier les passions des élèves, leurs intérêts, avec les concepts scientifiques. Si on a quelqu’un, par exemple, qui est passionné d’un sport, il y a plein d’éléments scientifiques derrière ce sport-là. Si on a quelqu’un, tantôt, je disais passionné de cuisine, il y a plein d’éléments scientifiques; passionné des arts, il y a des contextes scientifiques aussi à ce niveau-là, donc, partir de leur passion, puis les amener à comprendre pourquoi ils font telle chose.
« En cuisine, pourquoi on met tel ingrédient? » ou « Si je n’ai pas tel ingrédient, par quel ingrédient je peux le remplacer? Quels sont les éléments scientifiques derrière tout ça? »
Louis : On est capable de faire ça, je ne dirais pas malgré, mais en tenant compte qu’on a quand même un certain curriculum? Dans ton cours de chimie, à un moment donné, tu as un curriculum, alors tenir compte des passions, puis avoir le curriculum, comment est-ce qu’on s’organise?
Daniel : C’est un équilibre. [rires] C’est un équilibre qui n’est pas tout le temps évident. Ça dépend des niveaux aussi. Si on est dans un niveau plus à l’élémentaire, là, on a peut-être un petit peu plus de flexibilité. C’est certain que moi, j’enseigne chimie, douzième année. Le curriculum, il est très chargé, puis il y a des éléments que les élèves doivent avoir pour aller à l’université, mais avant les concepts, développer l’esprit scientifique devient encore beaucoup plus important. C’est certain qu’il y a peut-être des concepts que je ne vais pas couvrir, mais s’ils ont développé l’esprit scientifique, ils sont capables de résoudre des problèmes qui ont développé une compréhension plus qu’une connaissance. Là, ils vont pouvoir se débrouiller, rendus à l’université ou au collège. Non, mais quand on parlait de passion, c’est que même des concepts très compliqués. Moi, je suis passionné par ces concepts compliqués-là.
C’est peut-être qu’eux ils sont moins, mais par ma passion, je vais les influencer en quelque sorte. Puis, on essaie aussi de faire des liens quand même avec le quotidien ou avec d’autres concepts, que ce soit dans leurs autres cours de sciences, par exemple.
Louis : Daniel, quand tu parles d’esprit scientifique, comment est-ce que tu le définis, cet esprit-là, scientifique?
Daniel : L’esprit scientifique, ça peut être plusieurs choses. Quand on pense aux sciences, on parle beaucoup. La première chose qui nous vient en tête, c’est la méthode scientifique. La méthode scientifique, c’est une façon de vérifier, par exemple, nos théories, nos hypothèses. C’est une façon aussi de résoudre des problèmes. Quand on passe à la méthode scientifique, on va, par exemple, identifier des variables. Quelles sont les variables? Quels sont les éléments qui pourraient influencer quelque chose? Ça, ça s’applique dans la résolution de problèmes parce que, quand vient le temps de résoudre un problème, qu’est-ce qu’on fait?
On va aller modifier une variable à la fois pour voir l’effet de cette variable-là sur, peu importe le problème qu’on veut résoudre. Tout ce côté-là de la méthode scientifique. L’esprit scientifique, ça ne se résume pas seulement à la méthode scientifique. Il y a tout le côté, la pensée critique aussi. C’est d’être capable de comparer une situation, voir une situation en fonction de certains critères, ou de pouvoir vérifier nos sources, tu sais, d’être sceptique par rapport à ce que quelqu’un nous présente.
Si on pense à de la recherche scientifique, quand on fait de la recherche scientifique, on a tous nos résultats, on publie tout çà et là, on présente ça à nos collègues. Nos collègues, ils ne se gêneront pas pour critiquer notre méthode, critiquer ci, critiquer ça, critiquer ceci. Cet esprit critique-là devient important. Je pense aussi que c’est une façon de voir le monde, un petit peu aussi l’esprit scientifique.
Louis : Toi, Daniel, quand tu regardes le monde dans lequel on vit, puis la venue de plus en plus importante de la technologie. Tantôt, tu as utilisé le mot fake news ou fake fact, tu sais, comme des–
Daniel : Oui.
Louis : Comment est-ce qu’un prof de science peut développer cet esprit critique-là chez ses élèves? Comment tu fais, toi, dans ta classe?
Daniel : Premièrement, je pense que c’est important de développer chez les élèves cette habitude-là d’aller vérifier nos données à plusieurs endroits différents, vérifier nos sources. Est-ce que ce sont des sources qui sont fiables? Je pense que ça revient beaucoup à ça, aller vérifier nos sources, aller à la source. Si on fait une maîtrise ou un doctorat, souvent, on va aller chercher un article important dans cet article-là, mais il y a d’autres articles. On va aller retourner à la source du premier pour pouvoir bien comprendre où on est rendu par rapport à ce qu’on avait initialement.
Puis, même dans nos cours, on le fait, par exemple, quand on explique le cheminement de la théorie de l’atome. Pour expliquer où on en est dans notre conception de l’atome, on part du début. On pensait que l’atome, les éléments, il y avait quatre éléments : l’eau, le feu, la terre et l’air. Maintenant, on en a 118. Je pense que c’est important d’aller à la source de l’information.
Louis : Je trouve ça passionnant, Daniel, parce que je pense que donner le goût des sciences, c’est d’être passionné. Ce que j’entends de ce que tu dis depuis le début, c’est je vois une personne qui est passionnée des sciences, qui a le goût de développer chez l’élève l’esprit scientifique. Puis, ça, tu l’as très bien défini tantôt et que ça a un rapport avec leur vécu, leur quotidien pour que ça ait du sens pour eux. Toi, comment tu fais pour rester à la page en sciences quand on sait que ça évolue en termes de connaissance? Comment tu fais?
Daniel : Le bon côté, c’est qu’au niveau secondaire les connaissances demeurent pas mal les mêmes. L’atome, la structure de l’atome n’a pas changé, les protons, les neutrons, les électrons. Là, il y a toujours des élèves qui veulent en savoir plus. Là, ça nous force à aller fouiller pour aller en connaître davantage. Puis, moi, ce que j’aime beaucoup, c’est relier les concepts scientifiques à l’actualité, au fonctionnement, aux nouvelles choses qui apparaissent sur mes fils d’actualité. Les nouvelles scientifiques vont toujours m’attirer, et je vais essayer de voir c’est quoi cette nouvelle chose-là. Puis, c’est quoi le lien? Je prends tout simplement les nouveaux vaccins à ARN Messager. Ça, c’était fantastique, Louis.
J’étais trop excité comme prof de sciences à savoir comment ça fonctionnait, j’étais comme : « C’est fantastique! », mais c’est ça. C’est d’aller chercher l’actualité puis de faire le lien avec l’actualité parce que, comme je disais tantôt, on ne formera pas tous des scientifiques, Ce n’est pas tous des gens qui vont aller faire de la recherche en sciences, mais pour comprendre et pour prendre des décisions éclairées sur l’avenir, il faut avoir ces connaissances scientifiques-là. Il faut que ces connaissances scientifiques-là soient basées sur des faits et non pas seulement que des fausses nouvelles ou des croyances.
Louis : Mon autre question par rapport à toi, le prof de sciences en avant, oui, on voit que je me répète, mais que tu es passionné et tout. Il y a-t-il des stratégies pédagogiques que tu trouves qui fonctionnent mieux pour justement arriver à tous les objectifs que tu as mentionnés, là? Qu’est-ce que tu me suggèrerais comme stratégie pédagogique pour allumer ou faire apprivoiser les sciences à mes élèves?
Daniel : Il y en a plusieurs. Le processus d’enquête en est un qui est fantastique et le processus d’enquête qui peut être– Des fois, on pense au processus d’enquête comme quelque chose de vraiment gros et complexe, mais on peut y aller plus petit. Amener les élèves à découvrir les choses par eux-mêmes parce qu’on a cette mauvaise habitude-là comme prof de sciences, parce qu’on connaît les concepts. C’est facile d’être à l’avant et d’expliquer, mais c’est mieux, c’est plus intéressant quand les élèves les découvrent par eux-mêmes. Ils font la recherche. Là, ils se posent des questions.
Là, toi, tu peux entrer là-dedans pour aller soit les guider un peu davantage ou leur donner un petit peu l’information qu’ils n’ont pas, qui leur manque, avec tout ce processus d’enquête-là qui est super important.
Le travail collaboratif dans le cadre de la découverte ou de la création des connaissances devient super important. En sciences, on travaille en collaboration, il n’y a personne qui travaille en vase clos. C’était l’idée de la classe collaboro-réflective ou quelque chose comme ça et résolution de problèmes en petits groupes, en petites équipes. Agir davantage comme un guide plus que quelqu’un qui transmet l’information pour les amener à découvrir les grands principes et comment les choses fonctionnent. C’est beaucoup plus intéressant aussi pour les élèves. Ils sont plus dans l’action. Nous, comme prof, c’est un peu moins exigeant. On n’a pas besoin de faire un spectacle en avant pendant 15 minutes. Puis, c’est valorisant aussi quand on voit des élèves qui découvrent comme : « Okay, quand je fais ça, c’est ça qui arrive. » Oui.
[musique]
Louis : Pour entendre la suite de la balado avec Daniel Cyr ou encore pour avoir accès aux autres balados de la série, visitez le site Internet du Centre franco. Il est toujours possible de communiquer avec nous en utilisant l’adresse courriel suivant : info@lecentrefranco.ca.
[musique]
Balado avec Daniel Cyr, 2e partie
Louis Houle : Bienvenue aux Conversations pédagogiques avec des passionnés. Initiée par le Centre franco, cette série de rencontres nous présente des professionnels de l’Ontario français qui excellent en éducation.
[musique]
Aujourd’hui, nous retrouvons Daniel Cyr pour la suite ce balado. Lorsque nous l’avons quitté, il nous parlait de l’importance que la personne enseignante favorise le questionnement chez les élèves, donc être plus un générateur de questions que de réponses.
Daniel Cyr : Oui, et c’est là que ça devient intéressant parce qu’on ne sait pas dans quelle direction les questions vont aller. C’est là où on est capable d’aller chercher l’intérêt davantage des élèves, et la petite activité de gymnastique, c’est d’essayer de relier ça aussi avec le contenu, mais habituellement, ça serait assez bien. C’est là où on est capable davantage de développer cette passion pour les sciences, puis peut être d’enlever cette peur des sciences que les élèves pourraient avoir.
Louis : Ça ne demande pas un peu de lâcher prise chez le prof ou donner du pouvoir aux élèves? Au lieu de leur donner la réponse, que tu leur donnes les questions, puis, comme tu as dit tantôt, ça peut générer plusieurs chemins pour se rendre à Rome.
Daniel : Oui, et je te dirais ça, c’est une des difficultés peut-être pour un prof de sciences parce qu’un prof de science on est un peu plus cartésien, donc on va avoir une route. Là, de dire : « Je connais mon point de départ, je connais mon point d’arrivée, mais peut-être que je ne connais pas le chemin entre les deux. » C’est un petit peu plus stressant, oui. Il faut apprendre à composer avec cette incertitude-là, cet inconfort, mais on leur gagne parce qu’on le voit l’intérêt des élèves, puis qu’on va aller chercher chaque élève. Ce n’est pas tous les élèves qui vont aller dans la même direction, mais, à la fin, on va tous se rencontrer.
Louis : Je sais qu’à un moment donné on a discuté ensemble avant ce balado, et tu me parlais de storytelling en sciences. Est-ce que tu pourrais m’en parler plus de storytelling?
Daniel : Ça revient un peu à l’idée tantôt que tu parlais d’un prof de sciences, un vulgarisateur. Vulgarisateur, dans le fond, c’est de raconter une histoire, et c’est ça qui devient important ou intéressant d’être capable de raconter cette histoire-là avec un début, des péripéties, et cetera, dans le milieu et une conclusion, une fin. Notre rôle, un peu, comme prof de sciences, c’est ça guider cette écriture de cette histoire-là.
Ce n’est pas nécessairement à nous de l’écrire, ça peut être aux élèves aussi à l’écrire, et si on réussit aussi à développer chez eux cette capacité à vulgariser l’information, c’est quelque chose qui va les suivre partout dans leur vie, même s’ils ne poursuivent pas en sciences. Être capable de résumer de l’information, ça devient super important.
Surtout, maintenant, les gens, ils vont lire une nouvelle, ils ne vont pas lire tout l’article, ils vont lire les grandes lignes pour avoir une idée générale. Même en sciences, on a cet aspect-là. Quand on a un article scientifique, il y a ce qu’on appelle, au début, je n’ai pas le terme francophone, mais, en anglais, on va dire le abstract, qui résume tout l’article et la méthode, et souvent, avant d’aller fouiller dans l’article, on va regarder cette petite portion-là.
Louis : As-tu un exemple de storytelling qui a bien marché, dernièrement, que tu pourrais illustrer ton propos?
Daniel : Un des projets que j’ai faits avec mes élèves, à un certain moment donné, c’est de leur demander de faire une petite animation, comme un stop motion, pour expliquer un concept. D’ailleurs, j’ai une élève qui m’avait fait ça pour expliquer la traduction des protéines : comment on passe de l’ADN à l’ARN messager, à la protéine. Elle avait fait ça avec un stop motion, c’était de toute beauté.
Elle m’a remis ce travail, c’est clair, tu le vois, tu le regardes. C’est une belle petite histoire en deux minutes. On voit qu’elle a bien compris le concept. Je l’ai fait aussi avec des élèves plus jeunes où, souvent, je leur demande, par exemple, comme production : « Faites-moi, soit un enregistrement sous la forme d’un balado. »
Je l’utilisais récemment avec mes 9 ᵉ année pour le premier module de chimie : ont chacun un thème, un concept. Vous avez une minute en un balado, racontez-moi une histoire d’une minute pour expliquer ce concept-là. Ensuite, on met ça en commun. Ça devient une révision, en quelque sorte, pour tout le monde. C’est une habileté qui est très intéressante.
Louis : Est-ce que tu es du style de prof qui donne liberté aux élèves par rapport à leur choix du type de production qu’ils vont faire pour répondre à la question ou si, exemple, tout le monde fait un balado ou tout le monde fait ci, en termes d’outils utilisés par l’élève pour démontrer sa compréhension?
Daniel : Je dirais un peu les deux. Ce que j’ai remarqué, c’est que, des fois, les élèves, ils ont un type de production qu’ils préfèrent, donc ils vont toujours faire le même type de production. J’utilise un peu de ruse dans le sens que, des fois, je donne deux choix. Pour le prochain projet, c’est deux choix différents parce que je ne veux pas qu’ils fassent toujours la même production.
Je veux qu’ils varient les productions qu’ils vont faire, pas toujours la même chose. Évidemment, des fois, si on garde un travail de plus grande envergure, qui est plus à la fin du semestre, quand ils ont eu la chance de toucher à plusieurs types de productions, à la fin, on peut leur dire : « Maintenant, choisissez le type de production qui te convient le mieux. »
Louis : Là, je me mets dans la position d’un parent parce que, depuis le début, ce n’est pas le modèle de prof de sciences que j’ai eu au secondaire, où est-ce qu’on était un transmetteur de connaissances, puis, après un certain nombre de semaines, d’avoir un test, puis, après ça, on recommençait avec la nouvelle matière, puis, à la fin, tu avais un examen. C’est quoi la réaction des parents quand tu leur proposes ce type de pédagogie à saveur scientifique?
Daniel : La réaction a toujours été bonne. Je n’ai pas eu de mauvaises réactions. C’est certain qu’il peut y avoir un certain inconfort au début, donc c’est important de leur expliquer. Souvent, l’inconfort ne vient pas nécessairement des parents, mais par l’entremise de l’élève, dans le sens que l’élève a peut-être été habitué à un style très directif, où le prof est en avant, et c’est un peu plus traditionnel.
Là, s’il se retrouve dans un modèle qui est un peu moins traditionnel, là, il se sent un petit peu débalancé, insécure, donc c’est de le sécuriser. C’est là où, par exemple, on pourrait avoir des parents qui manifestent certaines inquiétudes, mais c’est de les rassurer qu’éventuellement son enfant, il va s’adapter à ce style. Ce n’est pas quelque chose qui a été problématique au fil des années.
Louis : Est-ce que tu utilises les mêmes stratégies avec tes élèves en difficulté?
Daniel : Oui, parce que s’ils sont en action, ils sont en train d’apprendre, tandis que s’ils sont seulement en train de m’écouter, je leur enseigne quelque chose. Je ne sais pas s’ils l’ont appris. Tandis que, lorsqu’eux sont en action, c’est eux qui doivent faire l’effort pour comprendre les principes, puis d’avoir une pédagogie qui permet de travailler en petits groupes.
Ça me permet, à ce moment-là, moi, de me libérer pour pouvoir aller travailler avec des élèves qui ont un peu plus de difficultés. On n’a qu’à penser nos cours de sciences 9 ᵉ année maintenant qui sont décloisonnés, puis c’est la même chose pour les cours de niveau à l’élémentaire ou l’intermédiaire. Les cours sont décloisonnés.
Si je suis en avant, je ne peux pas individualiser, en quelque sorte, l’apprentissage, mais lorsqu’ils travaillent en petits groupes, il peut avoir des élèves qui travaillent sur un certain projet ou certains éléments, qui peuvent avancer à un rythme un peu plus vite ou qui peuvent aller explorer d’autres éléments qui les intéressent. Moi, à ce moment-là, je peux travailler davantage avec les élèves qui ont un peu plus de difficultés.
Louis : Tantôt, quand je t’ai demandé certaines stratégies que tu donnerais à une personne qui commence à enseigner les sciences, est-ce que tu as un outil particulier ou une ressource que tu pourrais suggérer, qui aiderait justement aux profs en sciences?
Daniel : Oui, j’en ai quelques-unes. Il y a, bien évidemment, les cours en ligne qu’on– Il y a plusieurs des cours en ligne qui ont été développés par le Centre franco. Il y en a plusieurs qui sont nouveaux, qui ont été mis à jour. Ça serait une première ressource. Il y a le site Parlons sciences, qui offre de multitudes de ressources avec– Il y a même un outil de recherche, on peut faire des recherches par thème, par niveau. C’est très bien adapté.
L’autre ressource que j’aime beaucoup, c’est fait par l’université du Colorado, ça s’appelle les simulations PhET, c’est P-H-E-T. Les ressources pédagogiques ne sont pas en français, mais c’est les simulations. Par exemple, il y a une simulation pour construire un atome. Quand je parlais tantôt de processus d’enquête, au lieu d’expliquer c’est quoi l’atome, de quoi il est composé, on a un guide de processus d’enquête, et l’élève va aller jouer avec la simulation.
Malgré que ça a été fait par l’Université du Colorado, la simulation est en français. Les élèves vont jouer avec la simulation. C’est là qu’ils découvrent : l’atome est composé de protons, neutrons, électrons. Les protons, neutrons, sont au centre. Ils jouent avec ça et ils découvrent comment fonctionne l’atome. C’est trois ressources que je recommanderais : les cours en ligne, Parlons sciences, bien évidemment, et les simulations PhET.
Louis : Tu peux nous rappeler qui est en arrière de Parlons sciences?
Daniel : Parlons sciences, c’est un organisme pancanadien. C’est un organisme à but non lucratif, justement, qui promouvoit le développement des sciences, tout ce qui est STEM, sciences, technologie, ingénierie, mathématiques. Ce qui est intéressant, ils ont un programme avec les universités aussi. Des étudiants à l’université, en classe, pour animer des ateliers, pour faire des expériences avec nos élèves. Des fois, en classe, on n’a peut-être pas le matériel, eux, ils ont du matériel qu’ils peuvent nous prêter, par exemple. Si on veut faire un peu de codage ou– Ils en ont toute une panoplie, il suffit d’aller voir sur leur site Web et de faire la recherche. C’est une très belle ressource.
Louis : C’est en français?
Daniel : C’est en français, oui, et c’est répertorié, c’est lié aux attentes du curriculum à tous les niveaux, de la maternelle, jardin, jusqu’à la 12 ᵉ année.
Louis : Je pense que je m’en vais faire prof de sciences. Là, tu es en train de me donner le goût.
[rires]
Daniel : Oui, je te dirais, tu es un scientifique, on est tous des scientifiques, en quelque sorte.
Louis : Tu es trop gentil.
Daniel : Non, mais c’est vrai.
Louis : Si je prends la définition que tu as donnée tantôt, oui.
Daniel : On est tous des scientifiques. Quand on fait de la cuisine, on fait du jardinage, on travaille le bois, par exemple.
Louis : Les petits scientifiques que nous sommes, nous arrivons à la question en rafale. Je vais te donner un ou quelques mots, et tu nous fais un commentaire sur chacun des mots. Ça te va?
Daniel : Oui.
Louis : Okay. Le premier, c’est– on va commencer par, facile, un bécher.
Daniel : Un bécher, c’est un instrument. C’est un instrument de base pour faire de la science. Tu pourrais faire le lien avec n’importe quel instrument. Tu fais de l’ébénisterie, tu as besoin des instruments. Bécher, c’est un instrument.
Louis : Un outil, c’est ça?
Daniel : Un outil. Je dirais davantage, notre bécher, ce serait un outil. Comme scientifique, c’est un des outils de base. En ébénisterie, tu aurais plein d’outils, alors le bécher est un outil de base.
Louis : Là, je laisse ma question de côté parce que, là, tu parles d’outils. Est-ce que le prof de sciences que tu es développe un certain coffre à outils avec les élèves? Si oui, qu’est-ce qu’on met dedans?
Daniel : Bonne question. Oui, on développe un coffre à outils, on développe des stratégies pédagogiques. On en a parlé tantôt : processus d’enquête, classe collabo-réflexive, travail collaboratif. On développe aussi, comme coffre d’outils, capable d’être à l’écoute des élèves de plus en plus. Quand j’ai commencé à enseigner, il y a 25 ans, les cours de Bio 12 ou Chimie 12, c’était pour des gens qui allaient à l’université. Ce n’est plus nécessairement le cas. Donc, d’être à l’écoute de leurs besoins et de s’adapter en conséquence.
Louis : On revient à notre question : les filles en sciences.
Daniel : Il y a beaucoup d’efforts qui ont été faits pour encourager les filles à poursuivre en sciences, et je pense qu’on a besoin de continuer à en faire, des efforts, pour promouvoir le rôle des filles et des femmes dans les domaines STIM, par exemple. Il y a encore du travail à faire à ce niveau-là.
Louis : Prochain mot, passion scientifique.
Daniel : Il y a deux mots là-dedans. Il y a passion et scientifique. [gloussements] Je dirais, pour un prof, être passionné, c’est peut-être la clé du succès. Je pense qu’on ne peut pas être enseignant pendant 25 ans ou plus si on n’est pas passionné de ce qu’on fait. Passion scientifique, c’est passionné de la vie. La science, c’est la vie qui nous entoure. Si on est passionné de la vie, on a la passion scientifique.
Louis : Avant-dernier mot, curriculum.
Daniel : Trop souvent peut-être restrictif. Je ne dirais pas trop directif, mais, souvent, on s’attarde peut-être trop au curriculum et pas assez aux grands concepts, où il y a des éléments super importants si on veut que l’élève progresse d’un niveau à l’autre. Il faut se donner quand même une certaine liberté au niveau du curriculum, je crois. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas couvert chaque point et chaque virgule du curriculum qu’on n’a pas formé adéquatement nos élèves pour le prochain niveau, par exemple en sciences.
Louis : Le dernier mot, un papa scientifique avec ses deux gars.
Daniel : C’est ça le mot?
Louis : Oui, c’est ça le mot, papa scientifique qui a deux garçons.
Daniel : Le papa scientifique qui a deux garçons, il applique les mêmes principes scientifiques où il va leur expliquer comment les choses fonctionnent. Peu importe ce qu’on fait, si on va à la pêche et qu’on pêche un poisson, on va le couper, on va le disséquer, on va regarder les organes internes. Si on a un érable au chalet, on l’entaille, on va expliquer comment ça fonctionne et pourquoi l’eau d’érable est sucrée. Quand on va prendre une marche en forêt, on va expliquer les différents principes et on va transmettre cette passion de l’émerveillement par rapport à toutes les beautés de la vie, à nos garçons, finalement.
Louis : Qui sont tannés?
Daniel : Est-ce qu’ils sont tannés?
Louis : Que papa explique toujours?
Daniel : Non, mais je te dirais–
Louis : C’est papa toujours. [rires]
Daniel : Non, parce qu’ils veulent le savoir aussi. Des enfants veulent connaître comment ça fonctionne. Surtout des garçons, des garçons vont démonter des objets pour voir comment ça marche à l’intérieur. Un garçon qui démonte un moteur pour voir comment ça fonctionne. Ils ont cette curiosité innée-là. Non, ils ne sont pas tannés. [rires]
Louis : La curiosité d’un enfant, finalement, que tu as eu deux filles, deux garçons, ça aurait été la même chose?
Daniel : Définitivement, c’est la curiosité d’un enfant qui veut savoir comment les choses fonctionnent. Il y en a qui sont peut-être plus curieux de nature que d’autres, mais je pense que tout le monde, quand on regarde quelque chose, on se dit : « Comment ça marche cette affaire-là? » Quand on réussit à trouver le pourquoi, on est comme : « Okay. » Ça nous amène à vouloir dire : « Je voudrais en savoir plus maintenant. »
Louis : On arrive à la conclusion. Daniel, le dernier, je vais poser une question. Si tu avais à résumer notre conversation, parce qu’on a parlé de pédagogie, on a parlé de stratégies pédagogiques, on a parlé d’esprit scientifique, on a parlé de collaboration, de coffre à outils, plein d’autres choses. Si tu avais une chose que tu voulais qu’on se souvienne, qu’est-ce que tu dirais à titre de conclusion?
Daniel : Je pense que j’ai dit le mot passion plusieurs fois durant notre entretien. Puis, retenir que les sciences, ça n’a pas besoin d’être compliqué. La science, c’est le monde autour de nous, c’est notre vie au quotidien. Il y a de la science dans tout. Je pense que c’est important de s’intéresser à comment les choses fonctionnent autour de nous pour développer, on parle, des fois, de littératie scientifique, développer cet esprit scientifique pour pouvoir prendre de bonnes décisions, par exemple par rapport à l’avenir.
Louis : Daniel, c’est déjà terminé. Je voudrais prendre quelques instants pour te remercier pour cette passionnante entrevue. On va utiliser encore le mot une dernière fois. Je vous rappelle que Daniel est professeur au secondaire à l’école de La Salle, à Ottawa. Daniel a fait partie de l’équipe tactique et c’est un scientifique passionnant. Merci beaucoup, Daniel Cyr.
[musique]
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